Pourquoi l’intervention au Mali de la communauté internationale et surtout du Sénégal est une urgente nécessité

Introduction

La récente destruction par les terroristes de nombreux camions citernes à destination de Bamako  illustre une fois encore l’ampleur du péril. Ces véhicules transportaient du carburant vital non seulement pour Bamako qui va lourdement souffrir de cette rupture, mais aussi pour les pays voisins, en particulier le Sénégal dont les intérêts économiques et logistiques dépendent directement de ces flux. L’attaque ne vise pas seulement l’état malien : elle cherche à étouffer l’économie régionale, à isoler non seulement Bamako et Ouagadougou mais aussi les capitales côtières et à instaurer une terreur durable. Ces terroristes se comportent aujourd’hui comme les nazis d’hier : brutaux, méthodiques, cherchant à conquérir des espaces, à détruire des sociétés et à imposer leur idéologie mortifère. Comme hier face au nazisme, seule une puissante coalition déterminée peut venir à bout d’une telle menace. L’histoire jugera sévèrement toute passivité.

I. Pourquoi l’aide internationale et régionale est indispensable

L’armée malienne, malgré son courage et sa résilience éprouve d’énormes difficultés pour assurer la sécurité de son territoire. Soutenue par la Russie seulement, elle fait face à plusieurs défis  et tente de contrôler un espace qui exige plus de 10 fois les moyens humains et matériels dont elle dispose actuellement. Ainsi,  Les groupes terroristes contrôlent ou contestent de vastes territoires et ont démontré une capacité d’action redoutable : attaques contre ses bases, embuscades répétées, harcèlement des populations, enlèvements et tortures de dignitaires, destructions de convois de marchandises.  Leur stratégie est claire : couper le Mali de ses débouchés côtiers-notamment du Sénégal, de la Cote d’ivoire et de la Mauritanie-, asphyxier son économie , priver ses populations d’approvisionnement avec l’objectif de déstabiliser le pouvoir de Bamako ,et par là son appareil de sécurité engagé sur tout le territoire notamment au nord où l’armée malienne combat les rebelles du FLA alliés au JNIM. Ce scenario rappelle fortement la  déliquescence du pouvoir de Bamako en Mars 2012 et qui avait facilité l’invasion du Nord par les rebelles  touareg alliés à AQMI, Ansar Dine et au MUJAO.

Les conséquences dépassent largement le seul cadre malien. Le commerce entre le Mali et le Sénégal dépasse 800 milliards de francs CFA par an ; avec la Côte d’Ivoire, ce sont des flux vitaux de marchandises, d’énergie et de denrées alimentaires qui risquent de s’effondrer. Cette fois ci les terroristes  menacent les régions de Kéniéba et du Bambouk qui abritent l’important barrage hydro électrique de Manantali et de riches mines d’or exploitées par le Sénégal et le Mali. Ils risquent  de s’installer dans cette région  partagée par le Mali, la Guinée et le Sénégal à l’image de ce qui se passe au Nord du Bénin ou ils ont fini d’installer une insécurité difficile à extirper tant le terrain leur est favorable. Si les terroristes y  arrivaient ,on observerait un arc de cercle d’insécurité continu qui semblerait englober le l’ouest et le centre du mali ainsi que le Burkina Faso  L’ensemble de la sous-région serait frappée ainsi par une crise sécuritaire,  économique et humanitaire majeure .

                          Au-delà des flux commerciaux durement touchés et la menace réelle sur la  libre circulation des personnes, c’est la stabilité politique de toute l’Afrique de l’Ouest qui est en jeu. Si les terroristes réussissent à établir une continuité territoriale entre le Sahel et les frontières Nord des pays côtiers de la CEDEAO et à réussir leur blocus économique du Mali  surtout, c’est toute la sous-région qui sera fragilisée. Le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Bénin ne seraient plus à l’abri. Ne pas agir maintenant, c’est accepter une contagion sécuritaire incontrôlable et se préparer demain à négocier le déblocage des corridors économiques avec des terroristes.

II. Les capacités et possibilités du Sénégal, de la CEDEAO et des partenaires

                        Le Sénégal dispose d’atouts significatifs pour jouer un rôle moteur dans la riposte régionale :

  • Une armée professionnelle et aguerrie, déjà projetée dans des opérations extérieures (Congo, Darfour, Mali, Gambie, Guinée Bissau, Libéria  etc.) et reconnue pour son professionnalisme.
  • Une position géostratégique à l’Ouest du Mali, avec des infrastructures logistiques solides (port de Dakar, corridors routiers et ferroviaires vers Bamako).
  • Un poids diplomatique reconnu, qui permet au Sénégal d’articuler un plaidoyer crédible auprès de la CEDEAO, de l’Union africaine, des Nations unies et des partenaires bilatéraux comme la France, les États-Unis ou l’Union européenne. Dakar peut aussi valablement réussir un plaidoyer auprès de la Chine, de la Russie, de la Turquie, des pays arabes  et des BRICS tant sa diplomatie a su tisser de solides liens à travers le monde

                             La CEDEAO, malgré ses divisions, reste un cadre nécessaire pour légitimer une action collective. Elle peut appuyer le Sénégal, la Côte d’Ivoire et la Mauritanie dans un engagement coordonné.

          Des partenaires extérieurs existent et doivent être sollicités :

  • La Russie engagée directement sur le théâtre des opérations a déjà manifesté un soutien au profit du Mali est un partenaire digne d’intérêt.
  • La Chine soucieuse de ses intérêts dans la sous région est aussi un partenaire potentiel à solliciter.
  • L’Union européenne, qui a massivement soutenu l’Ukraine contre une menace perçue comme existentielle mais lointaine, ne peut rester indifférente face à danger terroriste qui touche directement ses intérêts en Afrique de l’Ouest. Ne pas intervenir pour sauver le Mali  aux relations tendues avec la France en particulier, reviendrait pour les occidentaux à abandonner des partenaires traditionnels dont le Sénégal, la Cote d’Ivoire et la Mauritanie
  • Les États-Unis et la France, déjà engagés dans la lutte antiterroriste au Sahel, disposent de moyens technologiques (Satellites , drones, logistique aérienne etc) indispensables pour compléter une opération régionale.
  • Les Nations unies, peuvent sans suivre leur lourde  procédure habituelle  apporter une couverture politique et un soutien logistique à une robuste coalition régionale soutenue par la communauté internationale.

III. Quel état d’esprit doit guider les acteurs dans cette guerre contre le terrorisme ?

La  nécessité  et l’urgence doivent s’imposer  dans l’esprit de tous les acteurs épris de justice et soucieux de protéger  leurs intérêts aussi menacés que ceux des états impliqués au premier chapitre. Les terroristes ont déjà commencé à s’attaquer aux intérêts des investisseurs chinois et occidentaux et ne s’arrêteront que sous la pression des armes. La protection des populations civiles de la sous-région incombe certes aux états,  mais la responsabilité de la communauté internationale presque aphone sur ce drame semble rappeler leur passivité vis-à-vis d’autres populations qui subissent des exactions et des dégâts collatéraux. Une dislocation d’un seul état de l’AES amplifierait les déplacements de population déjà importants et des demandes d’asile qui impacteront même l’Europe.  Il est temps d’agir malgré les dissensions politiques observées presque partout dans le monde. Les américains, les anglais, les polonais, les russes  etc ont bien tu leurs différents idéologiques et leurs querelles pour ensemble libérer l’Europe du Nazisme et du fascisme, forçant ses dirigeants à se cacher, à se rendre ou même à se suicider. Ces dirigeants nazis sont comparables aux chefs terroristes d’aujourd’hui recherchés par la justice internationale. Aussi, que le Mali entretienne des relations tendues avec la France en particulier et même avec ses voisins, que le dirigeant du Niger, refusant la main tendue de la CEDEAO ait le 06 Juillet 2024 clamé haut le départ  sans retour de l’AES, l’intervention de la coalition devra se faire surtout au bénéfice des populations qui  souffrent tant des terroristes. La référence  à la grande coalition internationale de la 2ème guerre mondiale, la prise de conscience des risques économiques pour tous  et la crainte d’un désastre humanitaire préjudiciables  même pour les pays  éloignés  de la sous-région suffisent largement pour déclencher l’offensive contre les terroristes déclarés comme une menace réelle à la stabilité. Cependant, il s’agira de s’engager sur des bases clairement acceptées par toutes les parties et dans tous les cas de respecter la souveraineté des états de l’AES.

Iv. Quelle forme pour l’engagement contre les terroristes ?

                         Le temps de l’action a sonné  car tenant compte des actions observées sur le terrain, l’intention finale des terroristes  de  déstabiliser l’état malien pour s’installer à Bamako  est connue. La réponse ne peut plus attendre et doit être multidimensionnelle :

  1. Diplomatique :
    • Convaincre les pays de l’AES, le Mali d’abord d’accepter le soutien dont ils ont besoin vu l’impossibilité d’éradiquer le terrorisme sans une implication  extérieure. L’implication russe qui a fortement contribué à la reconquête du Nord ne suffit pas pour éradiquer les terroristes  qui ont réussi à embrigader des populations. Un émissaire sénégalais au Sahel dynamique et qui saura dialoguer directement avec les trois juntes militaire devrait y réussir
    • Mobiliser la communauté internationale et les instances multilatérales.
    • Convaincre la Cote d’ivoire et la Mauritanie de leur rôle primordial dans la lutte contre le terrorisme au Mali d’abord puis dans les autres pays de l’AES
    • Convaincre la CEDEAO de dépasser ses clivages et de placer la sécurité régionale au-dessus des rivalités politiques.
    • Impliquer des pays africains comme le Rwanda et le Tchad à se joindre à l’effort général. En 2013, les Tchadiens ont bien traversé le Niger pour participer vaillamment à l’élimination des terroristes du territoire malien. De même, la vaillance de l’Armée rwandaise en RCA et au Mozambique se passe de commentaires.
    • Impliquer la diaspora africaine pour relayer le plaidoyer et contribuer financièrement
    • Impliquer les partenaires extérieurs pour un soutien financier et logistique indispensable car l’action anti-terroriste sera de grande ampleur et  nécessitera une durée relativement longue
  2. Économique et social :
    • Mettre en place un plan d’aide d’urgence pour le Mali et la sous-région afin de compenser les pertes liées aux attaques terroristes.
    • Soutenir les infrastructures transfrontalières (routes, pipelines, corridors énergétiques etc) afin de sécuriser les flux commerciaux.
    • Renforcer les mesures d’aide aux nombreuses populations déplacées ou réfugiées dans les pays voisins de l’AES
    • Appuyer les populations pour éviter que la pauvreté et le désespoir ne deviennent des viviers de recrutement pour les groupes armés.
  3. Militaire :

                       Il s’agira d’adopter  une stratégie offensive en tenaille  de maniéré à semer la discorde chez les terroristes qui pour la première fois se sentiront encerclés par une menace provenant de plusieurs directions et  convergeant sur Bamako. En effet la coalition sous régionale mènerait ses offensives avec les forces maliennes,  et à partir des frontières de la Mauritanie, de la Cote d’ivoire et du Sénégal. Une fois Bamako consolidée, il s’agira des’engager en direction de Ségou et Mopti et en direction d’Ouagadougou avant de s’attaquer aux sanctuaires terroristes nichés au nord du Bénin et dans le Liptako Gourma.

                                                    Conclusion

                         Le Mali est aujourd’hui le champ de bataille central d’une guerre qui dépasse ses frontières. Chaque jour perdu renforce l’emprise terroriste et rapproche la menace des capitales côtières. Les camions citernes détruits ne sont qu’un symbole : c’est toute l’économie régionale qui est visée sans compter les entraves à la libre circulation des personnes. Les dégâts causés par le terrorisme largement relayés par la presse, et  dont souffre toute la région surtout l’AES  ont été constatés. La posture défensive inefficace des états de la CEDEAO responsables en premier lieu de leur sécurité intérieure et tenus de soutenir leurs voisins de l’AES a été assez décriée. Les insuffisances des appareils sécuritaires des états de l’AES responsables de vastes étendues  ne sont plus un secret pour un simple observateur. La menace d’une forte baisse des activités des ports pourvoyeurs de marchandises à l’AES se dessine très clairement  de même que la détresse des populations soumis au blocus imposé par les terroristes. Face à cette situation, l’inaction serait une faute historique

                           Le Sénégal, en raison de son histoire, de ses capacités militaires et de sa stature diplomatique, doit prendre l’initiative. Avec la CEDEAO, la Mauritanie, la Côte d’Ivoire et l’appui des partenaires internationaux, il peut impulser une riposte globale, à la fois diplomatique, économique et militaire.

                           Comme hier face au nazisme vaincu par une puissante coalition internationale et en 2013 les terroristes chassés du Mali grâce à une vigoureuse action militaire de la France et du Tchad, c’est l’unité, le sacrifice, la détermination et le courage qui permettront de vaincre encore. Les terroristes ne sont point invincibles malgré leur bilan sur des armées braves mais qui peinent à contrôler  des zones d’engagement  qui dépassent leur capacité. Aucune armée de la sous-région ne peut  à elle seule performer mieux que ces armées de l’AES qui ont perdu des centaines de combattants et demeurer sur le terrain ; démontrant ainsi leur résilience et leur esprit de sacrifice. Le territoire compris entre Sikasso et la frontière du Sénégal dépasse la surface de notre pays. Beaucoup d’africains  devraient cesser de penser béatement que les terroristes visent seulement à étouffer Bamako et commencer à se rendre compte que les informations  des média main Stream soigneusement filtrées  évitent intentionnellement de mentionner les dégâts causés à Dakar et Abidjan. Il est temps de se réveiller et d’agir tant le feu qui brule à nos frontières semble passer inaperçu ; aussi bien pour les citoyens que les dirigeant en charge de la destinée de nos états. Ailleurs, dans d’autres états stratèges, pour beaucoup moins que ce qui nous est arrivé, le tocsin n’arrêterait de sonner, la réserve serait mobilisée, les populations alarmées, les dirigeants en conseil de guerre et les plateaux des media et les salles de rédaction en ébullition sur ce sujet brulant. Pour le prix de son gaz venant de Russie, la Hongrie en état stratège défie l’Europe qui somme toute, malgré certaines insuffisances et exagérations sur la situation sécuritaire cherche à adopter une posture stratégique dans le conflit ukrainien. 

                          L’Afrique de l’Ouest ne doit pas subir son destin : elle doit le construire, en éradiquant ensemble, avec le soutien de la communauté internationale cette menace terroriste avant qu’elle ne détruise tout ce qui a été bâti. Le Sénégal d’aujourd’hui  ne peut que s’y engager en jouant un rôle de leader hérité afin de préserver ses intérêts mis directement  en jeu  ainsi que sa renommée.

Dakar le 20 Septembre 2025

Colonel parachutiste (Er) Seyni Cissé Diop

www.gs7solutions.com

Consultant Senior Défense & Sécurité

scdiop@yahoo.fr

www.gs7solutions.com

                Auteur de plusieurs articles sur la sécurité en Afrique

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