Dans ces moment d’incertitude où le navire Sénégal a si besoin d’un commandant de bord de roc, rassurant , déterminé , doté d’une boussole bien calibrée et entouré de proches collaborateurs civils et militaires équilibrés, beaucoup de regards se tournent vers l’Armée nationale . Et Pourtant cette Armée fortement ancrée dans le respect de la constitution et des lois de la république a les capteurs rivés sur le peuple de qui elle attend un nouveau chef à partir du 03 avril 2024, d’autant plus que l’actuel titulaire a rappelé de manière très claire la date de sa fin de mission. La parole du chef d’une Armée est sacrée et ne doit souffrir d’aucun doute. Que de militaires de tout grade et sous tant de drapeaux ont donné leur vie au son de la parole de leur chef ! A peu de semaines de la célébration de la fête de l’indépendance qui la verra communier avec sa nation, l’Armée nationale veut comme toujours un vrai chef un commandant soucieux de la souveraineté, prêt même à se sacrifier pour lui éviter de vivre une pénible période de vacance. Elle veut un chef suprême dont la noble parole seule suffira pour qu’elle attaque un ennemi qui incendierait nos frontières ou déjà infiltré dans le sanctuaire national. Elle en a besoin pour trôner encore à la tête des armées de la sous-région. Mais elle en a surtout besoin pour ne pas devoir rejoindre ses quartiers d’hiver comme on disait dans ces pays où le froid arrêtait souvent les combats, en attendant l’installation de son chef. Tant de décisions et d’actes symboliques attendus de ce chef qui comme dans les pays en crise doit si le besoin se faisait sentir commander de son palais pour la survie de la nation ! Ne dit-on pas que la guerre est trop sérieuse pour la laisser entre les seules mains des militaires? Certainement pour montrer la prééminence du politique sur le soldat si bien développé dans l’excellent ouvrage « Le fil de l’épée« .
1. Singularité et particularismes de l’Armée Sénégalaise
L’armée sénégalaise se singularise dans la sous-région par son attachement aux valeurs républicaines qui l’ont forcé à rester hors du jeu politique, demeurant hormis le Cap Vert récemment indépendant, l’exception ouest africaine qui n’a jamais voulu arrêter la marche de l’état par un pronunciamiento. Elle doit ce succès dans une large mesure à la posture des grands dirigeants politiques qui avaient une haute connaissance des affaires militaires fortement liées à la conduite de l’état et la survie de la nation. Sunt Zu en a parlé à dessein dans l’Art de la Guerre. Qui pouvait imaginer, comme nous le risquons aujourd’hui une célébration de l’indépendance avec toute la symbolique militaire sans un chef mandaté par le peuple devant qui seul le drapeau s’incline à son passage ? les dirigeants politiques ont dû, jusqu’en 2012 intégrer cela dans leur posture malgré les doutes, regrets et hésitations qu’ils ont vécus en tant qu’êtres humains devant entamer une nouvelle vie pleine d’incertitude. C’est ce qui a certainement aidé l’Armée sénégalaise à traverser dignement les crises politiques de 1962, 1968, 1988, 1993, 2000 et 2012 qui ont somme toute secoué son piédestal et limiter les effets seulement aux hauts échelons de commandement
Evoluant sous une direction politique avertie des conséquences des décisions politiques pouvant affecter le fonctionnement de son appareil militaire, l’Armée sénégalaise a pu ainsi se développer dans tous les domaines pour mieux affronter les défis de sécurité de son sanctuaire national et assurer une prestigieuse présence dans les opérations extérieures de maintien de la paix, volant de succès en succès dont les témoignages font la fierté du peuple sénégalais, son ultime employeur.
Ces succès de notre armée sont en grande partie le fruit d’une solide cohésion bâtie sur la discipline des chefs et des troupes professionnelles qui ont déjà payé un lourd tribu pour la défense de l’intégrité territoriale , la restauration de la paix dans des pays devenus instables comme la Gambie en 1981 et 2017, la Guinée Bissau de 1998 notamment , le Congo de 1960 et plus tard des années 2000,le Libéria, la Cote d’ivoire ,le Sinaï, le golfe , le Mali , le Soudan, la RCA, le Tchad pour ne citer que ces zones , tant les militaires sénégalais ont été presque partout dans le monde. Leur renommée survivra à la génération actuelle comme à celle des anciens qui ne cessent d’inspirer d’outre-tombe.
Ce haut niveau de discipline interne se manifeste aussi vis à vis des autorités civiles dans toutes les situations. Quel jeune adjoint de sous-préfet ne s’est-il pas émerveillé de la considération manifestée à son égard par une haute autorité militaire, correspondant direct du gouverneur, expérimentée, plus bardée de diplômes civils que lui , détenant plus de tampons apposés sur son passeport et maitrisant des langues qui lui sont étrangères ? La discipline a toujours été le crédo des militaires de tout grade qui continuent aujourd’hui encore d’y adhérer pleinement.
Quel chef d’état de notre pays nouvellement installé n’a pas ressenti cette immense fierté que ne procurent que les honneurs militaires ? Qui peut lui obéir plus que ces militaires qui parfois sacrifient leur vie là où le politique les engage ?
Aussi le chef politiques de la plus haute instance, le président de la république doit dans toutes ses postures prendre en compte ses prérogatives et privilèges vis à vis de l’Armée du peuple qui lui doit obéissance en respect de la constitution et des lois de la République
2. Prérogatives et privilèges du Président de la République par rapport à l’armée
Le PR est chef suprêmes des armées ; et à ce titre il nomme à tous les emplois militaires. Comme les textes le lui permettent il peut aussi à tout moment déchoir un grand chef militaire de son emploi. L’emprisonnement et la mise à la retraite du général Amadou Fall par le président Senghor est l’exemple le plus frappant de même que celui du CEMGA remercié après le 04 Avril 2000. Le positionnement du Général Cheikh Wade dans la 2ème section juste après le 04 Avril 2022 de même que le décret du 18 juin 2021 signé à Matam mettant fin aux fonctions du Général Jean Baptiste Tine sont aussi de parfaites illustrations du pouvoir régalien du Président de la république sur l’appareil militaire. Que de décisions plus que brusques et surprenantes qui ont soit mis fin à des fonctions de hauts cadres militaires ou fait le bonheur de certains. L’adoption par l’assemblée d’un processus de contrôle démocratique des forces armées forcerait plus au respect de la dignité des officiers et inviterait à plus d’équité. Point n’est besoin ainsi de rappeler que c’est le PR qui donne le titre de commandement aux officiers appelés à l’exercer et que les lois fondamentales relatives à la défense notamment les lois 70-23 et 72-92 qui confèrent au PR le pouvoir de nommer les commandant de théâtre ou de force. Le récent décret de nomination du commandant des forces spéciales entre dans une certaine mesure dans le cadre des lois citées supra et l’article 45 de la constitution qui lui confère le pouvoir de nommer et de disposer de la force armée mais en respect de la constitution et des lois.
Lors du défilé du 04 avril, avec solennité devant le front des troupes c’est au nom du PR que les militaires sont nommés ou élevés dans les dignités nationales Et durant cette grande communion nationale unique, il est loisible d’observer que les drapeaux et étendards ne s’inclinent, se baissent uniquement lors de son passage comme lors des cérémonies militaires qu’il préside.
En outre pour couronner sa prééminence, les unités de réserve générale lui sont directement subordonnées. L’effigie symbolisant son rôle de chef suprême des Armées qui trône au-dessus de la tête de tous les chefs militaires titulaires d’un commandement. Que faire de ce symbole s’il advenait une période inédite de vacance de pouvoir, même assurée par le président de l’assemblée nationale ? Qui signerait l’autorisation légale de mouvement de certaines troupes en cas d’urgence d’autant plus qu’on évoque beaucoup cette ceinture ou boule de feu qui se rapproche de notre pays ? La vacance de pouvoir ne devrait point avoir lieu en raison de tout ce qui est exposé en plus de la recomposition géopolitique de la région ouest africaine qui n’échappe même pas aux néophytes des relations internationales.
En fait comme Zelenski aujourd’hui qui dirige la guerre de son pays à l’instar de Margaret Thatcher lors de la crise des Malouines de 1982, Youssouphou et Tiani face aux terroristes du sahel, c’est à notre président de conduire la défense de la nation face à un ennemi qui nous menacerait ou qui se serait infiltré .A partir du 3 avril si un heureux dénouement n’est pas trouvé ,le commandement suprême de notre armée sera vacant .Là ,les commandants des armées devraient envoyer les troupes dans leurs quartiers d’hiver comme diraient les autres des pays enneigés ou dans les vastes champs d’arachide du Cayor et attendre les ordres du prochain président qui sera élu par le peuple. Que de risques inutiles, de dossiers sous le coude ou en attente entre temps !. La constitution ne laisse aucune seconde et aucun espace de vacance de pouvoir comme le stipule si bien l’article 36 de notre constitution
C’est pourquoi l’installation du nouveau chef légal et légitime des Armées avant le 4 avril 2024 est un impératif pour le peuple sénégalais. L’Armée Sénégalaise a besoin d’un chef mandaté par le peuple pour présider sa prochaine communion du 04 Avril avec le peuple. Non et encore Non. Cette fois ci les enjeux dépassent les joutes politiciennes et peuvent affecter la défense nationale. Aussi, l’Armée sénégalaise ne voulant pas d’un passage à vide de son peuple tant les défis sécuritaire peuvent revêtir un caractère d’urgence, par la voix des citoyens exige la présence d’un chef mandaté légitimement pour la conduire à la victoire.
Dakar, le 26 Février 2024
Par le Colonel parachutiste (Er) Seyni Cissé Diop
Consultant Défense & Sécurité
Ancien commandant du Bataillon de Parachutistes
Ancien Directeur des Ressources Humaines des Armées
Ancien Commandant de Zone militaire et de secteurs