Hommage à nos Jambaars, les véritables tombeurs de Jammeh

 

Gambie chars senegalais en route pour banjul

Ce n’est point la diplomatie qui a fait partir Yaya Jammeh pathétiquement accroché au pouvoir jusqu’au 21 janvier soir mais plutôt  les armes suspendues à sa tète  qui  l’ont fait accepter son exil en Guinée équatoriale. Acceptons cependant le fait que les médiateurs aient  aidé l’ancien chef d’état gambien à faire prévaloir son instinct de survie.

  Ainsi, ce  n’est point le président Abdel Aziz de Mauritanie, ni le président  Alpha Condé  de Guinée qui ont rétabli la démocratie à Banjul, l’objectif stratégique de la CEDEAO  mais la force armée ou plutôt  les forces armées sénégalaises qui  ont déployé une puissance de feu qui  ont forcé les fidèles de l’enfant de Kanilai à baisser les armes. Le nouveau président Adama Barrow a eu bien raison d’affirmer  que ce n’est pas la médiation qui a fait partir Jammeh  mais les armes de la CEDEAO. Marcel de Souza le président de la Commission de la CEDEAO a décerné aussi un satisfecit aux forces de la CEDEAO. L’on risquait fort de les oublier pour mettre encore  plus en exergue la cette diplomatie décousue qui a dû céder le pas à la force militaire. On  peut le constater aussi en parcourant quelques pans de l’histoire des relations internationales  où les conflits figurent comme des repères très nets. C’est  le cas par exemple du passage de la 24ème à la 25ème dynastie égyptienne qui a vu le roi  nubien Piankh ( -747 à -716) qui à l’issue d’une campagne militaire victorieuse régna sur l’Egypte après avoir chassé les mercenaires libyens autoproclamés pharaons.

On eu dit que l’emploi de la force que d’aucuns récusent par tous les moyens semble être une constante depuis les temps immémoriaux. Si la force n’est pas utilisée pour faire tomber un régime comme c’était le cas en Lybie et en Irak, elle est souvent brandie pour obtenir une concession ou bloquer une action, protéger des intérêts etc . L’arrêt  de l’invasion du Nord Mali par une action militaire rapide est aussi  une parfaite illustration. La force peut être aussi proposée à un président ou à un monarque  par exemple qui veut assurer sa sécurité contre un agresseur; c’était le cas du roi Sambala de Medina, qui en 1855 permit au gouverneur Faidherbe la construction d’un fort.

L’amiral Cagnetti, de l’institut des Hautes Etudes  de Défense de Rome dans un magistral exposé  nous avait bien convaincu en démontrant que : « les hommes ne recourent généralement à la paix qu’après avoir épuisé toutes les autres voies, notamment le recours à la violence ». C’est ce qui s’est encore passé en Gambie  comme dans d’autres parties du mondes  que nous rappellerons après une brève tentative d’explication du comportement des hommes qui semblent conforter l’adage ‘’ il faut de bonne armes pour de bonnes lois’’. Ce qui devrait peut être nous inciter à renforcer notre système de sécurité car l’homme de pouvoir surtout éprouve des difficultés énormes pour se débarrasser en vain de sa partie naturelle qui le fait très souvent adopter l’attitude d’un loup où d’un bouki de la savane africaine.

1. L’approche hobbesienne pour expliquer la place  de la violence dans les relations humaines

          L’homme préfère la paix mais  est tout le temps en train de se préparer pour la guerre ou de la mener. Que ce soit à l’échelle individuelle où l’homme ressemble à un loup ou  au niveau collectif  où ils montrent souvent les signes d’une meute de loups assoiffés, l’on remarque que les différents, les appétits, la conquête ne  se règlent en général que par l’emploi de la violence. Quelle différence ya -t-il entre un état qui convoite par la force le territoire d’un autre et ses richesses et la meute de boukis qui attaque un agneau détaché du troupeau, et qui peut bien faire penser à la Gambie attaquée de partout par la force de la CEDEAO guidée par les jambaars sénégalais ?

Pourquoi cet état de fait ? Que faut-il faire pour empêcher le recours à la violence ou du moins le réguler ? Hobbes a essayé de proposer la solution du contrôle de la violence par un plus puissant appelé Léviathan, et qui a la charge de  réguler la violence de plus petits. Les organisations internationales  et les puissances mondiales ou locales en fait essaient de jouer le rôle de ce Léviathan  dont l’existence peut  se Justifier  par l’impossibilité d’éliminer complètement la violence. C’est ce Léviathan que les forces de la CEDEAO ont incarné  pour chasser Jammeh hors de Banjul.

Aussi, une vision réaliste du monde qui ne semble pas avoir changé dans le fond depuis la nuit des temps  s’impose  de plus en plus dans la perception des relations entre les hommes et les nations humaines.

L’attaque jihadiste du nord mali perpétrée dans la même lignée que  celle de 1591 des mercenaires de Djouder à la solde du sultan El Mansour qui avaient pillé Tombouctou et Gao doit nous réveiller plus  si besoin était, de même que les brefs rappels des situations  de crise ci bas  puisées dans un  passé récent ou lointain. Les relations internationales semblent tortueuses, imprévisibles mais les relations de force y figurent comme  une constante.

2. Quelques situations qui démontrent le recours necessaire de la force.

               En effet, n’est ce pas les deux regrettables bombes atomiques qui ont forcé les forces nippones de l’empereur Hiro Hito à se rendre aux forces du général Mac Arthur ? Et en ce qui concerne toujours la deuxième guerre mondiale, on  a bien vu le général de Gaulle se refugier à Londres pour préparer avec les alliés la force capable de  reconquérir  la France sous domination nazie , comme si Adama Barrow s’en  est inspiré en s’exilant temporairement à Dakar pour préparer lui aussi , en toute légitimité son débarquement à Banjul déjà assuré . Point n’est besoin aussi de rappeler que Kadhafi et Saddam ont été détrônés par la force après les vaines tentatives diplomatiques. Michel Djotodja et Blaise Compaoré ainsi qu’Idy Amine en 1986  et Hisséne Habré en 1991 n’ont  accepté leur départ  que sous la pression d’une force supérieure à la leur. Enfin, n’est ce pas le cimeterre qui a imposé l’Islam en Espagne pendant prés de sept siècles et que ce sont les janissaires qui l’ont fait atteindre les rives du Danube ? Il est aussi aisé d’affirmer que c’est l’effet des canons qui a imposé l’anglais et le français en Afrique  et que ce sont ces mêmes canons qui ont sonné le glas de l’empire français d’extrême orient en 1954.

Chez nous encore, l’intronisation du Damel Madiodio n’ a pu avoir lieu à Mboul en fin mai 1861  que grâce à ses troupes et la colonne française qui ont défait le damel Macodou à la Bataille de Kouré. Ce qui démontre à merveille qu’ici aussi la violence a plus qu’été utilisée et continue à l’être dans l’espace sénégambienne malgré les vœux pieux des pacifistes et des diplomates qui finissent très souvent par se rendre compte de l’utilité d’employer la force après les médiations, qui malheureusement débouchent rarement sur  un succès et sont ainsi  suivies d’une période de violence observée parfois, placidement par les organisations internationales. Le langage des armes n’est pas préférable  mais   bien des situations bloquées au niveau de la diplomatie  ont trouvé une issue acceptable  grâce à l’imposition de la Force. Il en a été ainsi à Haïti en Septembre 1994. En effet, c’est la présence de la force mandatée par la résolution 940 de l’ONU  qui avait forcé le General  Raoul Cedras assis illégalement à la place du père Aristide , à préférer l’exil au panama juste avant le débarquement.  Le cas Cedras ressemble  fort bien à ce qui vient de se passer en Gambie.

 

3. L’Opération ‘‘restauration de la démocratie’’

           Cette opération  de la CEDEAO en Gambie ‘‘Restauration de la démocratie ’’ qui comme par hasard porte le même nom que celui de l’opération de Haïti, a ainsi toutes les chances de se dérouler de la même manière. Elle devrait durer un temps relativement court  afin peut être, de mettre à la disposition du théâtre malien de  la MINUSMA,  ces troupes levées avec une inquiétante rapidité. A moins que le théâtre gambien ne soit plus prisé que celle du Mali de Sanogho, ou du Burkina  de Blaise  ou même du Niger de Tandjan. L’analyse des situations dans les relations internationales montre très souvent une logique particulière qui fait penser à un systéme à deux poids et plusieurs mesures. La prise en compte de la dangerosité du théâtre, du rapport  de force  conforte  la pertinence de la théorie des  VIE  de  Victor Vroom.  Le facteur ‘’Expectation’’ a du certainement peser fort pour que la CEDEAO et surtout certains pays acceptent de s’engager rapidement en Gambie alors les zones chaudes du Mali les attendent désespérément. Dans tous les cas, cette opération mettant à contribution les troupes de la CEDEAO démontre une fois de plus que  beaucoup de dictateurs demeureraient encore  au pouvoir si une intervention musclée n’avait suppléé   la diplomatie qui semble parfois ignorer qu’elle doit très souvent  son succès, à  la force armée, son inséparable compagne. Les multiples concessions qui sont souvent interprétées comme des faiblesses  n’ont jamais réussi à arrêter les bravades des  dictateurs accrochés à leur pouvoir. La Sénégambie l’a démontré à merveille et nous rappelle que sans une force capable de faire imposer la loi beaucoup de décisions ne seraient pas respectées. C’est en fait le caractère intrinsèque de l’homme qui semble être à l’ origine de cet état de fait.

Cette approche réaliste des relations humaines et des relations internationales peut certes paraître critiquable pour l’homo senegalensis avec sa propension naturelle  à préférer le dialogue même à son détriment. Cela ressemble certes à une approche pessimiste de la perception des relations humaines mais la réalité nous force à  accepter qu’ à travers les leçons du passé qui semblent  se répéter que l’emploi de la force  fait bien parties des relations internationales  malgré la volonté des homme de ne plus recourir à la violence pour régler les différends . Les fondateurs de la SDN  l’ont souhaité de même que ceux qui œuvrent encore pour la paix mais la réalité politique nous rappelle  à chaque occasion l’obligation d’ utiliser les instruments du dialogue mais aussi l’impérieuse nécessité de prendre les dispositions adaptées pour une application efficace et  limitée de la force..

  En conclusion, l’on peut affirmer que le nord Mali risque de contribuer très peu à la réalisation de l’émergence du Mali tant l’état malien a négligé la défense de sa façade Nord comme les songhaï face aux mercenaires du sultan El Mansour. Ainsi, la communauté internationale consacrera encore beaucoup d’années pour y rétablir la sécurité, préalable à tout développement durable.

Contrairement au Mali et au Burkina qui ont leur façade Nord directement exposée aux jihadistes, Le Sénégal semble logé dans un cocon protégé au nord par son fleuve et le désert mauritanien, à l’est par la bande de terre qui nous sépare de Bamako et qui permet  une excellente défense en profondeur ; au sud la foret et les derniers contreforts du Fouta Djalon nous mettent dans une position assez favorable. Le fleuve Gambie aussi, semble même s’étirer en notre faveur  d’Est en Ouest comme pour protéger la capitale sénégalaise d’un ennemi venant du sud. Dakar la capitale, enfoncée dans la presqu’ile est ainsi  facile à défendre contre une attaque terrestre. Heureusement  que nous ne sommes plus a l’époque des peuples envahisseurs par les mers comme ceux que Ramsès IX a dû combattre pour protéger l’Egypte.

Est-ce une raison pour ne pas anticiper sur les périls à venir d’autant plus que les importantes ressources en gaz et en pétrole découvertes en mer pourraient bien aiguiser des appétits lointains comme des querelles de frontières avec des voisins à la mentalité plus belliqueuse que la notre.

Alors, autant la force nous a permis de gagner la première manche en Gambie autant elle  doit constituer une assurance pour la protection de nos intérêts pendant l’ère post Jammeh qui s’ouvre avec un président qui semble mieux disposé à coopérer avec son unique voisin dont l’influence ne peut être égalée par aucun autre pays.

Le Sénégal devrait ainsi  prendre plus conscience du rôle de puissance  à jouer dans son premier cercle qui englobe la Gambie et ses intérêts vitaux, tout en adoptant de plus en plus une politique  réaliste , qui depuis la nuit des temps   , concède à  la force une place importante dans les relations. L’homme semble être toujours nourri d’une logique qui  le fait privilégier ses intérêts plus  que ceux du voisin.

Les peuples leuco dermiques, pour reprendre l’expression du professeur Cheikh Anta Diop semblent avoir compris plus que les subsahariens les exigences de la ‘‘real politiK’’ et mettent en avant leurs intérêts de manière voilée ou pas alors que leurs vis-à-vis du sud du Sahara se contentent souvent plus des égards à leur endroit que la défense de leurs intérêts . Est ce l’une des raison de la perte de nos territoires que la bataille de Tondibi de 1591 semble marquer d’un jalon encore visible ?

Hommage à nos forces armées. Eux  qui ont encore restauré la démocratie en Gambie en 2017, après l’avoir réussi 36 ans auparavant. Qui dépend de l’autre ? la diplomatie ou la force armée ?  Espérons que l’une n’aille sans l’autre, pour que le succès soit toujours garanti.

La diplomatie est une réalité mais l’histoire des relations internationales nous démontre qu’en fait le dernier ressort revient très souvent ‘‘malheureusement’’ comme diraient les pacifistes à la force. En paraphrasant  Darwin, l’on peut affirmer  que les nations qui survivront sont celles qui auront certainement investi dans leur sécurité. L’Algérie  nous donne une parfaite illustration lorsque son site pétrolier ,vital à son économie a été par des jihadistes en janvier 2013 et récemment en mars 2016.  Ses fulgurantes contre-attaques  lui  ont permis de se faire plus respecter malgré les regrettables dommages collatéraux.

Les nations qui  négligeront leur sécurité seront toujours vassalisées soit par les agresseurs ou ceux qui sont venus à leur rescousse. L’Italie des Médicis de la renaissance,  le Sénégal de l’époque coloniale et le Mali contemporain en sont les parfaites illustrations.

la  victoire de  la CEDEAO en Gambie caractérisée par le départ de Yaya Jammeh  est surtout celle des jambaars sénégalais qui méritent encore la reconnaissance de la Sénégambie. Leur renforcement est  plus qu’une nécessité afin que nos autorités puissent décider vite la projection d’une force efficace.

Une intervention rapide en Gambie dés le début aurait certainement évité que prés de 50 000 gambiens ne se réfugient au Sénégal  et empêché à Yaya Jammeh d’ emporter  impunément  dans sa fuite d’importantes richesses au détriment du nouveau régime.

Que Dieu nous aide à développer une pensée stratégique réaliste  et à renforcer notre  volonté de fourbir les  armes pour  affronter  les imprévisibles crises qui peuvent surgir sous toutes les formes.

 

Dakar le  23 Janvier 2017

Colonel (er) Seyni Cissé Diop

Consultant en Défense & Sécurité

www.gs7solutions.com

scdiop@yahoo.fr

 

 

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