Intervention du Nigeria en Gambie

 

Une intervention militaire du Nigeria en Gambie : Quelles conséquences pour le Sénégal ?

L’annonce de la mise en condition de 800 soldats nigérians prêts à intervenir en Gambie pour déloger Yaya Jammeh s’il persistait à ne pas céder le pouvoir à Adama barro présent même au 27ème  sommet France – Afrique de Bamako clôturé ce 14 Janvier 2017 devrait faire frémir ceux qui ont dirigé le Sénégal avant l’alternance politique de 2000. Vrai ou faux ? Toujours est-il qu’il il n’ya  jamais de fumée sans feu.

Par les opérations Fodé Kaba de 1981 en Gambie et Gabou de 1998 qui a vu les troupes sénégalaises débarquer par surprise à Bissau, les dirigeants sénégalais  ont  fait valoir leur puissance dans ‘’le premier cercle concentrique’’ comme aiment dire les diplomates. On les a même vus dans la crise libérienne s’imposer en challenger du Nigeria qui y avait déployé  plus de troupes que le Sénégal qui se retira finalement en 1993. Les politiques et les généraux de l’époque avaient un sens aigu de la nécessité pour le  Sénégal non seulement d’imposer son leadership dans son carré restreint mais aussi de se faire remarquer sur  d’autres théâtres d’opérations situées même hors du 2ème  cercle concentrique. Puisse leur exemple continuer à inspirer.

Aussi, pourquoi le Sénégal, fort de sa puissance militaire et économique, quoique devant prendre en compte  les décisions de la CEDEAO et de  l’UA ainsi que les conventions internationales doit-il laisser à  d’autres le soin d‘engager leurs troupes dans ‘’ce champ de bataille qui se situe dans ses entrailles’’  comme dit si bien le politologue  Babacar Justin N’Diaye ? Qu’est ce qui justifierait réellement que le Sénégal puisse laisser à d’autres, notamment le Nigeria et peut être  le Ghana qui pourrait s’y joindre, tous deux   peu représentés  dans les zones chaudes du théâtre malien , assurer la conduite des futures opérations contre la modique armée mixte de Yaya Jammeh composée de troupes régulières , de rebelles et de mercenaires ?

Cette contribution dont le but principal est de mettre en évidence le rôle de puissance que le Sénégal doit jouer  tentera de montrer ce que la Gambie représente réellement pour que le Sénégal s’y impose nonobstant ce faux clivage linguiste entre l’anglais et le français que la langue Wolof continue de combattre avec succès. Elle tentera aussi de présenter  brièvement  les activités antérieures  et les appétits du Nigéria vis à vis de la Gambie avant de conclure par la posture de leader que le Sénégal doit adopter dans cet espace géographique et culturel restreint  que nul ne doit lui contester.

  1. La Gambie, une patate chaude dans la bouche du Sénégal

La Gambie avec ses 10000 km2 de territoire entièrement entourés par le Sénégal est  un pays souverain reconnu sur le plan international ; ce que le Sénégal manifeste par ailleurs en maintenant à Banjul une représentation diplomatique et faisant le maximum pour ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures gambiennes. Cependant au même titre que le royaume  du Lesotho détaché de l’Afrique du sud depuis 1910 et qui ne peut se soustraire de l’influence de son puissant voisin, les affaires de la Gambie notamment celles relatives  à la sécurité ne peut se régler sans tenir compte du Sénégal, son unique voisin. Contrairement au Sénégal qui ne peut considérer les axes routiers passant par  la Gambie comme des intérêts vitaux, pour la Gambie par contre  la fermeture de ces routes influe très négativement sur son économie. Le contournement de la transgambienne par les transporteurs sénégalais a déjà démontré la puissance économique du Sénégal qui  à partir de 1981 a mis sur pied l’embryon de l’armée gambienne après avoir  remis au pouvoir le président Jawara déchu par un coup d’état.

Mais  manquant d’adopter une posture stratégique sous Dawda Jawara qui par la suite, au détriment du Sénégal  s’était trop rapproché du Nigeria de l’époque dirigé entre autres  par Mohamed Buhari revenu au pouvoir très récemment, les politiques sénégalais avaient ainsi royalement fermé les yeux devant  le coup d’état du 22 juillet 1994 perpétré par Yaya Jammeh. Il est bien vrai qu’à l’époque seule une administration  très pointue sur les affaires sécuritaires pouvait deviner  le soutien que Jammeh pouvait apporter à la rébellion casamançaise qui à l’époque opérait seulement sur la frontière avec la Guinée Bissau.

Aussi, fort de toutes ces surprises qui nous ont valu un réveil brutal, le Sénégal doit certes continuer a considérer la Gambie comme un pays indépendant mais de la même manière que toutes les autres  puissances  vis-à-vis de leurs satellites, le Sénégal doit s’imposer  actuellement quelle que soit la forme adoptée pour chasser Jammeh du pouvoir. Le souci exagéré de préserver nos relations avec le Nigéria  ne doit pas nous pousser à le laisser ravir la vedette sur la résolution de la crise qui perdure en Gambie s considérée, à tort par certains  comme son 37ème état.

  1. Le Nigeria parrain de la Gambie et challenger du Sénégal

Le président nigérian actuel Mohamed Buhari comme ceux qui l’ont succédé après son premier mandat présidentiel qui a duré de 1983 à 1985 considère la Gambie comme un pays plus ou moins satellite, au grand plaisir de Yaya Jammeh qui trouve ainsi un grand frère face à l’encombrant voisin sénégalais qui l’étouffe.

Le Nigeria se considérant comme le leader naturel de la CEDEAO surtout au plan militaire avec ses 170 000 hommes en uniforme pèse lourd par rapport au Sénégal sur tous les plans sauf au plan de la compétence des troupes , entre autres. Le professionnalisme et la notoriété des militaires sénégalais pèsent en effet plus lourd que ceux du géant aux pieds d’argile.

Et, comme toutes les  puissances  le Nigeria cherche à étendre son influence. Et dans le cas de la Gambie, ignorant à juste titre les distances, le Nigeria s’appuie sur l’anglais qu’il partage avec la Gambie et les liens séculaires qu’ils ont tissés. L’appui judiciaire et militaire du Nigeria au profit de la Gambie le démontre assez Et pourquoi pas dans le futur la considérer comme une tête de pont pour la conquête des marchés du Sénégal alors que ce dernier s’appuyant sur sa position géographique privilégiée et les liens culturels  cherchera aussi à s’imposer en Gambie  avec tous les avantages dont il dispose par rapport à son challenger.

Ainsi, en Gambie, qu’on le veuille ou non, il risque de se jouer une partie de poker serrée entre le Sénégal et la Gambie  après le départ de Jammeh qui arrivera inéluctablement dans de courts délais.

Le Nigeria est un grand pays doté de toutes les structures de pensée stratégique bien avant le Sénégal qui certainement ne dissocie pas l’action militaire de la diplomatie, de la  culturelle et surtout de l’économie en particulier.  Face à ce défi qui nous attend, est ce que nos politologues, diplomates, journalistes, leaders d’opinion etc  prennent-ils conscience réellement que l’armée n’est pas seulement le prolongement de la diplomatie mais doit être aussi un instrument  de la politique économique. Israël engage une bonne partie de sa puissante force pour contrôler l’eau des hauteurs indispensable pour sa survie et déploie sa diplomatie pour gagner des marchés et une reconnaissance internationale. Le Sénégal devrait sen inspirer et adopter une posture stratégique sur tous le plans pour sauvegarder ses intérêts en jouant son rôle de puissance.

Dans le cadre de la CEDEAO en particulier, le Nigeria est un allié avec qui nous nous acheminons ensemble vers la monnaie unique, mais dans cette situation présente elle est face à nous et semble ne pas l’ignorer contrairement à beaucoup de nos responsables et leaders d’opinion. Le Nigeria leader dans la lutte contre Boko Haram  est aussi  attendu sur le théâtre malien  qui manque terriblement de troupes ouest africaines dans les zones sensibles que contrôlent le Tchad et la France plutôt qu’en  Gambie où sa présence militaire effective ressemblerait à un coup de pied au nez du Sénégal.

  1. Posture du Sénégal en Gambie en tant que puissance locale

La France ainsi que les USA ont déjà conforté le Sénégal en lui assurant leur appui. Il s’agit par ces soutiens de taille de ne point voir une main mise occidentale sur la Gambie  mais plutôt de la real politique. Même la Russie qu’on craignait semble avoir accepté l’idée de se ranger , ne serait ce par le silence du coté du Sénégal marché plus porteur en terme de débouché des produits soviétiques et qui par-dessus le marché recèle d’importantes ressources halieutiques et énergétiques qui intéressent plus d’un partenaire. La Russie n’est plus à l’ère de la suprématie de l’idéologie sur l’économie. Que représentent ainsi les 80 km de cotes gambiennes  par rapport aux 500 km de cotes poissonneuses du Sénégal ?  Le choix est vite fait pour les pays abonnés depuis belle lurette à une approche basée sur les intérêts de reconnaître le leadership du Sénégal. La France na pas largué ses parachutiste au Nord Mali  uniquement pour protéger Bamako mais pour anticiper sur la protection de ses intérêts dans la zone sahélienne.

Aussi le Sénégal doit il prendre plus sa destinée en main et assurer par lui-même  son leadership dans sa zone naturelle qui inclut la  Sénégambie. C’est à sa portée tant au plan militaire que financier.

En  2002  les ivoiriens se sont imposés pour limiter les contingent de la CEDEAO, excluant ainsi le Nigeria pourtant disposé à l’époque a fournir des troupes.

Les circonstances différent certes vu qu’il s’agit de l’arrivée sur ordre de l’UA ou de la CEDEAO de contingents  étrangers ( dont ceux du Sénégal ) dans un pays souverain qu’est la Gambie mais l’histoire  la géographie , la culture et l’économie relient dans une grande mesure la Gambie et le Sénégal qui ne devrait laisser personne s’imposer dans ce pays logé dans  son cercle intime . C’est pourquoi une veille stratégique s’impose et force déjà notre diplomatie à anticiper, engager un nouveau combat en prélude à la fin de  la période Jammeh pour que le Sénégal ne se laisse pas ravir un quelconque contrôle dans son premier cercle ; quitte à faire preuve de moins de diplomatie. La langue anglaise somme toute une langue étrangère aux africains  et même les relations tissées entre la Gambie et le Nigéria devraient être considérées comme des arguments insuffisants pour que nous laissions à d’autres le soin de faire la police dans notre zone vitale par extension.

En Conclusion, Le général de Gaule dans  son livre ‘‘ la France et son armée’’ dont la paternité qu’il s’est arrogé l’avait opposé au maréchal Pétain a bien raison de dire que la fleur de lys, symbole très utilisé depuis les gaulois  a une allure plus guerrière que botanique ou religieuse. Sa pointe représente plus l’embout d’un javelot gaulois qu’une simple fleur aux origines mythiques ou religieuses. Est ce  cela qui renforce le réalisme des français en politique étrangère qui les fait autant accueillir des réfugiés que d’envoyer ses soldats hors de l’hexagone, là où leurs intérêts sont menacés? Le but stratégique de l’opération Serval était moins de défendre l’état malien que d’anticiper sur la préservation d’intérêts.

En tous cas, nous avons au Sénégal besoin de ce type de symbole qui peut être, nous donnerait plus la mentalité d’une nation certes éprise de paix mais prête à l’emploi de la force si nécessaire. Pourtant l’hymne national, au dernier couplet  nous invite fortement  à une posture guerrière en ces termes  « ….Mais que si l’ennemi incendie nos frontières, nous serons tous dressés et les armes au poing ». Les multiples provocations  de Yaya Jammeh qui soutient les rebelles du MFDC  peuvent bien être assimilées à une forme d’agression contre nos intérêts, d’autant plus que cela se déroule à notre frontière commune.

Ainsi, à ce niveau de la crise gambienne où le Nigeria piaffe de fouler en force  le sol sénégambien alors que la MINUSMA a si besoin de renforts ouest africains dans les zone chaudes, le Sénégal est à  la croisée des chemins : Il s’agit de laisser les autres dont le Nigéria qui ont leur zone d’exclusivité s’immiscer dans notre périmètre sensible, dans notre premier cercle concentrique comme disent les diplomates  ou  de s’imposer pour défendre nos intérêts notamment les ressources de la  Casamance  sauvagement  exploitées par des contrebandiers de tout acabit qui profitent de  la bénédiction de Yaya Jammeh qui ne fait que tirer les marrons du feu.

.           Aussi s’agit-il ici de ne pas attendre l’arrivée d’un  potentiel oppresseur pour ensuite s’indigner mais de s’inspirer des  ivoiriens qui en 2002, conscient des risques se sont opposés avec succès   à l’arrivée des troupes nigérianes sur leur sol .

Le leadership du Sénégal peut certes être déclaré et reconnu à Paris ou ailleurs mais il  doit se manifester surtout  ici dans cet espace restreint englobant la Gambie  où nous devons jouer le rôle de puissance en exclusivité et en dehors du Nigeria qui profitant de son ses liens privilégiés avec la Gambie avec qui il partage l’anglais  trouve en ce moment une excellente occasion d’y intervenir en force et certainement d’y demeurer plus que nécessaire. Pourtant le Sénégal commence déjà à payer seul les conséquences de la crise gambienne  avec le flot de refugiés qui augmente de jour en jour.

Enfin, si les soldats jambaars sénégalais sont laissés en  rade pour que  des étrangers  venus d’une contrée éloignée fassent le ménage en Gambie, il sera question de s’interroger sur l’utilité de l’armée sénégalaise, pourtant si compétente et qui s’est distingué partout avec gloire. Si cela arrivait nous pourrions affirmera que le Sénégal a peut être oublié que la diplomatie, et la force militaire  vont de pair , parallèlement  ou l’une à la suite de l’autre au profit de  l’économie  ou parfois pour l’extension de la culture  qui peut elle aussi concourir parfaitement à l’atteinte des objectifs stratégiques économiques.

Allons, en avant sénégalais pour  que  la Sénégambie reste sous notre contrôle pour l’intérêt des sénégalais et des gambiens !!!

 

Dakar le 15 Janvier 2017

Colonel (er) Seyni Cissé Diop

www.gs7solutions.com

scdiop@yahoo.fr

 

 

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