2. LES REALITES GEOPOLITIQUES OUEST AFRICAINES, UNE APPROCHE PAR LES ESPACES ET LES ACTEURS
Ainsi dès lors que nous avons centré le concept de puissance au cœur de la géopolitique vu les intérêts divergents que les différents acteurs essaient de protéger en solo ou en coalition, l’on peut maintenant essayer de l’appliquer à l’Afrique de l’ouest à travers les 5 espaces que sont : l’espace physique terrestre, l’espace maritime, la cyberspace où les frontières étatiques sont superbement ignorées, l’espace aérien, l’espace de pensée culturelle et l’espace économique.
2.1. La géopolitique appliquée à l’espace terrestre de l’AO
L’Afrique de l’ouest s’étend sur une superficie de 6 143 603 km2 et accueille une population de 346 786 257 d’habitants avec 70% qui ont moins de 30 ans, très jeune comparée à l’Europe qui affiche un âge moyen de 42 ans. Elle englobe actuellement 16 Etats dont le Cap vert et la Mauritanie. Sa frontière Nord en fait un trait d’union entre l’Afrique du nord alors que le Tchad constitue son verrou Est qui doit faire l’objet d’une veille particulière des Etats ouest africains et aussi de ceux de la CEMA. Son important engagement militaire au Mali et son appartenance au G5 le font apparaître comme appartenant à la CEMA et à la CEDEAO en même temps.
L’espace terrestre de l’Afrique de l’ouest peut être divisé en 2 parties sensiblement égales en surface : une bande sahélo soudanienne que semble limiter au sud l’axe Banjul-Sikasso–Bobo-Dioulasso- -Kano- Maiduguri- qui prend en compte ainsi le nord du Nigeria. La partie sud s’ouvrant plus sur l’océan atlantique par le golfe de Guinée regroupe les 8 pays côtiers qui s’étalent de la Guinée Bissau au Nigeria qui abrite à lui seul plus de la moitié de la population. On eut dit que cette partie doit son existence à la mer car toutes leurs capitales, lieux géopolitiques par excellence sont positionnées sur la côte atlantique. Le sud du Sénégal ainsi que le sud du Mali pourraient être rattachés à cette partie qui abrite la réserve forestière de la sous-région. L’Afrique de l’Ouest a toujours attiré les peuples si l’on considère que la plupart des grands nègres qui la peuplent actuellement sont venus de l’est selon Cheikh Anta Diop. Par ailleurs la légende des peuples de la lagune d’Abidjan (Ebriés et Abourés) considérés comme les autochtones raconte que leurs ancêtres sont venus du Nord Est.
La position de transit de la façade nord de l’Afrique de l’ouest qui sert de lien entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire en fait une zone de convoitise, de conflit, une zone de basse pression comme dirait Jacques Ancel, une zone ouverte aux envahisseurs venant aussi bien de l’Est que du Nord du continent et aussi de l’extérieur si on considère ce vide dont profite même les trafiquants de drogue de l’Amérique latine. Ce qui dans une introspection historique nous force à nous rappeler de la bataille de Tondibi du 12 avril 1591 qui a vu la première invasion de Tombouctou et Gao par des peuples étrangers à la sous-région. Ce qui en fait pourrait faire penser à une certaine continuité historique si on rattache le désordre causé à Tombouctou par les troupes du Sultan marocain Ahmed El Mansour commandé par le mercenaire Djouder et la récente expédition des Touaregs qui pour des objectifs différents cependant, ont pour la deuxième fois occupé Tombouctou et Gao en Avril 2012 face à l’impuissance de l’armée malienne qui rappelle la supériorité des mousquets de Djouder par rapport à la tactique de l’Askya. Ces deux entreprises ne différent pas fondamentalement du point vue géopolitique.
Cette rapide présentation de la géographie physique et du rappel historique centré sur le Nord Mali avait pour objectif de mieux appréhender la situation géopolitique actuelle de l’Afrique de l’ouest qui met en évidence les zones de conflit qui ne sont en fait que des espaces, des lieux géopolitiques que des acteurs aux intérêts divergents cherchent à contrôler aussi bien maintenant que dans un passé plus ou moins lointain.
Ainsi confinant, notre exploration des zones de conflit, lieux hautement géopolitiques, l’analyse de l’espace terrestre sera centrée sur 3 lieux ou espaces de la partie nord de l’Afrique de l’Ouest alors que l’exploration de la partie sud sera orientée vers l’océan atlantique. Les lieux géoponiques de cette espace seront évidemment sélectionnés parmi ceux situés sur la frange côtière, la forêt étant considérée ici comme espace de transit vers ou à partir de la côte atlantique mais qui mérite cependant un monitoring permanent.
2.1.1. Le nord mali
Cette partie qui à elle seule peut dépasser le niveau de lieu géopolitique sera quand même catégorisée à ce niveau malgré le fait qu’elle couvre près de 1 000 000 de km2 et comporte des lieux dignes d’intérêts,chargés d’histoire et placés en des endroits stratégiques comme Tombouctou lieu d’effervescence culturelle classé comme patrimoine mondial qui en plus est situé sur le cours d’eau qui rythme la vie des habitants et semblait être l’objectif stratégique des touareg qui en feraient bien la capitale d’un Etat indépendant ou d’une région autonome à statut spécial vu les tendances actuelles qui se dessinent dans le processus de réconciliation.
Le nord mali est ainsi de par les nombreux acteurs qui y jouent un jeu serré un lieu et même un espace géopolitique devenu encore objet de tous les appétits de conquête. Profitant de la déstabilisation de l’Etat légal malien par des putschistes,des mouvements Touaregs à l’affut bien avant les indépendances avec près de 2000 combattants motivés, l’attaquent le 11 Mars 2012. Ils s’emparent de Kidal et Gao avant Tombouctou le 1 er avril et ainsi proclament leur indépendance, s’assurant ainsi le contrôle d’un vaste territoire qu’ils ont toujours considéré, à tort, comme leur patrimoine exclusif. Cette situation de fait a remis en actualité ce problème que les autorités maliennes ont mal géré et rendu possible par leur absence significative dans cette zone.
Cette victoire des Touaregs a été cependant remise en cause par la suite après l’intervention française et tchadienne. Ils ont été forcés de céder Konan, Tombouctou et Gao et de se replier au nord en attendant la suite. Privilégiant maintenant la diplomatie, dans le cadre du processus de paix encadré par l’ONU dont les troupes contrôlent l’application du processus de paix et participent au retour de la stabilité, les mouvements rebelles regroupé dans le cadre de la CMA (coordination des mouvements de l’Azawad) regroupant arabes du MAA et les Touaregs semblent vouloir s’intégrer dans le processus de paix. L’installation récente ( le 21 avril ) de l’un d’eux à la tête de Tombouctou pourrait bien être considérée
comme une victoire pour eux en attendant d’autres concessions. Pendant ce temps, les mouvements terroristes comme MUJAO, Ansar Dine, Al Mourabitoune et le FLM d’Amadou Koufa continuent de faire recours à la violence contre tous les autres acteurs présents au Nord Mali.
L’on peut tirer des enseignements de cette situation en essayant de lui appliquer les théories et concepts géopolitiques :
1. La puissance a été le facteur déterminant qui a permis aux acteurs plus motivés et plus puissants que sont les séparatistes de s’emparer d’un vaste territoire mal défendu en jouant autant sur l’effet de surprise que sur leurs capacités renforcées par l’armement et les renforts venus de la Lybie.
2. L’accaparement du nord Mali par les rebelles et leur tentative vaine de demeurer du moins dans la partie sud confortent les théories classiques (de Ratzel en particulier) mais d’actualité centrées sur les espaces physiques à conquérir pour se nourrir et croître et aussi pour mieux se positionner en tant qu’Etat faisant partie du concert des relations internationales
3. Quant à l’Etat malien, il conforte le fait qu’en géopolitique les intérêts des faibles qu’il a si bien symbolisé sont illégitimés par les vainqueurs qu’étaient les mouvements de l’Azawad qui jusqu’à présent ne s’avouent pas vaincus et penseront toujours à revenir, même sous d’autres habits. Entre leur action et l’arrivée des troupes de Djouder à la solde du sultân Ahmed el Mansour, il s’est bien écoulé plus de 4 siècles.
4. Sur le plan de la prospective, rien qu’en prenant en compte l’uranium de la région de Kidal voisine celle d’Arlit du Niger pourvoyeur de la France, on comprend encore mieux autant la posture des Touaregs qui pensent à leur future rente,des français conscients de la nécessité de contrôler cette région si importante pour l’énergie de l’Europe interconnectée et de l’Etat malien dont la perte du contrôle du fleuve Niger allait être lourde de conséquences pour son plan de développement. Aussi, les africains de l’ouest pour mieux faire face aux tentatives d’accaparement de leurs espaces,doivent-ils s’approprier plus les leçons de l’histoire et de la géopolitique, autant de l’école classique que de l’école contemporaine.
2.1.2 Le Nord-Ouest du Niger riche en uranium
Cette région connue pour son uranium est contiguë à la région de Kidal riche aussi en uranium peut être percuté ainsi comme faisant partie d’un même espace énergétique.
Le fait que l’Etat malien aie perdu le contrôle du Nord de son territoire fait craindre à plus d’un que la même situation ne se joue au Niger voisin. La situation diffère cependant car là où Kidal excentré était devenu un ventre mou, il n’en est pas de même pour Arlit, pourvoyeur de l’uranium indispensable aux réacteurs nucléaires français qui bénéficie de la défense résolue de la France prête à protéger sa source d’approvisionnement.
En conclusion, le nord mali constitue bien un haut lieu où se vérifient presque tous les concepts de la géopolitique,autant les théories du 19 ème siècle que celles de l’école réaliste contemporaine tant les acteurs mettent leurs intérêts en avant, font preuve de réalisme pour certains,rivalisent d’ingéniosité, de violence, de diplomatie pour contrôler le territoire pourvoyeur de ressources. L’Etat malien semble être le plus faible des acteurs et a besoin d’un véritable sursaut national pour rétablir sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire dont la configuration par rapport aux autres pays nous fait si bien penser a la théorie d’Ancel relative aux vulnérables zones de basse pression. Mais point d’exercice réelle de souveraineté sans une sécurité garantie par l’état.
2.1.3. le bassin du lac Tchad
Le bassin du lac Tchad que se partagent le Nigeria, le Niger le Tchad et le Cameroun s’étale sur plus de 600 000 km2. Le lac Tchad en constitue le centre et s’étend sur une surface de 2500 km2 qui ne cesse de se rétrécir. C’est une région où la pauvreté ne cesse de grandir en raison de l’assèchement du lac, de l’augmentation exponentielle de la population estimée à près de 30 millions de personnes surtout en ces période d’insécurité créée en fait par la passivité du Nigeria qui malgré ses réserves et ses fonds souverains n’a pas su développer sa région nord-est enclavée par rapport au sud où se concentrent les richesses. Depuis la répression sanglante de 2009 de la secte Boko Haram par l’armée nigériane et qui s’est soldée par la mort de son leader Mohamed Yousouf, le mouvement se radicalisa plus avec Abubacr Shekau qui lui succéda. Ce dernier qui s’est rendu célèbre par son allégeance récente à Daesch précédée par le rapt de 200 collégiennes de Chibok en avril 2014 a réussi même par l’action armée à s’emparer de localités proches du lac Tchad dont Gambaru reconquis aujourd’hui grâce à l’engagement résolu de l’armée tchadienne sur le territoire nigérian.
Aujourd’hui la force multinationale composée du Cameroun, du Tchad du Nigeria et du Bénin semble grâce à une coopération militaire inédite entre les 4 pays et un soutien international a réussi à contraindre Boko Haram qui pourrait se réduire à sa plus simple expression à condition que l’Etat nigérian mette en place un véritable plan de développement social qui tienne bien compte du Nord et accepte de collaborer plus avec ses partenaires africains.
L’application d’une approche géopolitique de la situation faisant appel aux classiques comme aux contemporains révèle que :
1. Le nord Est du Nigeria, autant que le nord mali s’est senti abandonné par l’Etat central qui n’a pas réussi un partage équitable des richesses de la confédération, créant ainsi une zone de vide qui a fait ignorer les frontières de l’autorité centrale par un mouvement rebelle composé cette fois d’autochtones partageant la même culture négro africaine. Cela renvoie à la notion des isobares et des frontières mouvantes au gré des rapports de force de Jacques Ancel. Ici BokoHaram a voulu s’emparer d’un territoire pour en fait élargir sa zone de liberté d’action alors que l’Etat nigérian revendique sa souveraineté sur cette partie nord du Nigeria. Ce qui en fait des acteurs aux intérêts divergents et aux modus operandi différents.
2. Au plan des arguments, Boko Haram se réfère aux anciens royaumes musulmans du nord dont ceux de Sokoto et du Kanem Bornouqui ont existé avant la période coloniale, à fortiori la confédération nigériane.
En conclusion de l’étude de la géopolitique de l’espace nord qui a consisté volontairement à essayer d’appliquer les concepts à 3 lieux géographiques notamment le nord Mali, le Nord-ouest du Niger et le nord Nigeria, l’on peut dire que les principes géopolitiques classiques et modernes centrés sur la conflictualité et l’accaparement de territoires se sont vérifiés et peuvent nous servir de base pour l’étude de la partie de l’Afrique de l’ouest qui fait plus face à l’océan atlantique où les acteurs dans une situation de conflictualité cherchent encore à contrôler des espaces pour exploiter les ressources.
2.1.4. La zone forestière englobant 9 Etats dont la moitié sud du Nigéria
Vu sous l’angle de la conflictualité et des tentatives de contrôle de territoire, l’on peut dire qu’excepté le sud-est du Nigeria, la zone forestière de l’Afrique de l’ouest constitue un espace de relative sécurité qui doit cependant faire l’objet d’un monitoring permanent vu que les terroristes du Mali, par le sanglant attentat de Grand Bassam de Mars 2016 ont réussi à faire sonner l’alerte dans cette zone où peuvent se cacher des cellules terroristes. Les progrès de l’islam en zone forestière manifestes en Côte d’ivoire surtout et perceptible en Guinée Bissau méritent une prise en compte des autorités étatiques qui tout en garantissant la liberté de culte pour tous s’engageront plus dans la consolidation de leur nation. En conclusion de l’étude de l’espace terrestre, l’on peut affirmer que le choix des lieux se justifie par leur conflictualité présente et passée et le fait que les acteurs au-delà de l’influence des voisins immédiats subissent aussi celle d’acteurs étrangers dotés de réelles capacités que découplent leur envie de s’imposer dans le jeu géopolitique qui se déroule surtout dans la partie nord de l’Afrique de l’Ouest qui pourrait également influer plus dans la partie sud tant la connectivité est grande. C’est ce qui pourrait expliquer les attentats de Grand Bassam organisés et exécutés par des djihadistes venus en fait du Nord. Leur jonction avec les acteurs nuisibles de la partie sud qui se signalent surtout dans la piraterie maritime serait lourde de conséquence pour les économies de la région.
2.2. La géopolitique appliquée à l’espace maritime de l’Afrique de l’Ouest
2.2.1. Le golfe de Guinée
Englobant le delta du Niger, le golfe de guinée s’étend au-delà de l’Afrique de l’ouest car les façades maritimes du Cameroun et du Gabon y sont comptabilisées. Elle s’étend ainsi du Gabon à la frontière ouest de la Cote d’Ivoire sur une distance de près de 2000 km. Beaucoup d’acteurs évoluent dans cet espace comme les états africains côtiers qui cherchent à contrôler et à exploiter leur ZEE, les occidentaux soucieux de la sécurité des routes maritimes par où transitent le pétrole et les matières premières importées d’Afrique et enfin les pirates qui sèment l’insécurité en voulant s’approprier illégalement les biens en transit.
Le nombre d’actes de piratage ne cesse d’augmenter dans cette zone si sensible d’où provient plus de 15% de la consommation de carburant de l’UE.Malgré la présence d’un navire français de protection qui y patrouille en permanence depuis 1990 et la présence des marines locales,27 actes de piratages ont été constatés encore depuis avril 2016.
C’est ce qui a poussé les Etats de la région à ratifier en 2012 la convention de Lomé qui prend en compte tous les aspects de la menace, qu’il s’agisse de terrorisme, du piratage maritime, des trafics de drogues ou d’armes, de la pollution ou de la pêche illégale.
Il faut cependant espérer que les Etats africains fassent preuve de plus de maturité pour régler les différents qui minent leur obligation de travailler ensemble contre la menace, notamment le problème de la délimitation des frontières et les problèmes de souveraineté.
2.2.2. La façade maritime occidentale
Cette façade maritime centrée sur le Sénégal et s’étendant sur près de 2500 km du nord au sud à partir de la frontière nord de la Mauritanie jusqu’au Liberia se présente actuellement comme un espace relativement calme par rapport à l’activité des pirates. Cependant les tensions récurrentes entre pécheurs sénégalais arraisonnés voire même pris à partie par les gardes cotes mauritaniens en fait quand même un espace où s’affrontent des acteurs aux intérêts divergents qui pourraient exporter leurs différents sur la terre ferme. En outre le piratage des ressources halieutiques de cette zone par des bateaux étrangers conscients de la faiblesse des moyens de surveillance des pays comme le Sénégal et ses voisins du nord comme du sud constitue un défi majeur. La situation pourrait renvoyer à cette approche des théories navales qui conseillent l’offensive et la rapidité pour contrôler les espaces, et c’est là où excellent les bateaux pirates qui ressemblant à des terroristes pillent les ressources halieutiques. Cela montre ainsi la mouvance des frontières et des zones de souveraineté qui obéissent ici aussi à la théorie des isobares de Jacques Ancel qui peut faire percevoir les ZEE de ces pays comme des zones de basse pression, des ventres mous à la portée des envahisseurs.
Cette partie de l’espace maritime de l’Afrique de l’ouest est pour le moment relativement épargnée par la piraterie maritime vu le peu d’enjeu mais doit faire l’objet d’un renforcement net de la sécurité contre d’éventuels actes de piratage ou de sabotage d’infrastructures avec la prochaine exploitation des plateformes pétrolières et gazières. L’union des forces reste la seule alternative des pays de la zone vu le lourd investissement à consentir pour sécuriser une zone où les prédateurs peuvent facilement sortir de la zone interdite et y revenir tranquillement, sûr de la faiblesse des moyens de surveillance et d’intervention.
2.2.3. La géopolitique appliquée à l’espace aérien de l’Afrique de l’Ouest
L’espace aérien de l’Afrique de l’ouest constitue réellement une free open zone dont les trafiquants de drogue même profitent. Cela se comprend par la faiblesse des moyens de surveillance mais surtout par le manque de volonté politique des Etats. Sinon comment peut-on comprendre aujourd’hui que certains pays dont le Sénégal ne disposent même pas de zone aérienne militaire qui, même dépourvues de moyens adaptés pourraient au moins récolter les informations transmises par les simples paysans qui verraient un objet volant se poser ou survoler à basse altitude.
Une meilleure structuration des espaces de surveillance et un renforcement conséquent des moyens de surveillance air (drones, satellites etc.) et une meilleure couverture radar permettraient de mieux contrôler cet espace qui échappe presque totalement au contrôle des Etats ouest africains à qui revient la responsabilité.
2.2.4. La géopolitique appliquée à la cyberspace de l’Afrique de l’Ouest
L’attaque du supermarché de Westgate de Nairobi en septembre 2013 a été mûrement coordonnée via le net. Cette attaque s’est soldée par des dizaines de mort et un trauma mondial tant le Kenya était apprécié des touristes du monde entier qui ont finalement été obligés d’abandonner ce pays ou hésiter longuement avant de se lancer dans un safari. La même situation peut se déclencher en Afrique de l’ouest où certains de ses pays comme le Nigeria, le Bénin frontalier, le Ghana et la Cote d’ivoire occupent des rangs honorables parmi les pays où sont recensés le plus de cybercriminels.
Dans un rapport publié par la société Trend Micro « les cyber crimes en provenance de l’Afrique sont classés parmi les dix principales menaces qui pèseront sur les entreprises et le grand public dans les années à venir, car la cyber escroquerie n’a pas de frontières. Les Etats-Unis, inquiets des attaques venant d’Afrique, ont dressé un classement des dix premières sources mondiales de cyber arnaques : le Nigéria arrive en 3ème position et le Ghana en 7 ème. Certains états comme le Nigeria, le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont les pays les plus touchés, avec plus de 10000 cyber menaces recensées en 2015. En fait ce sont les pays les plus exposés parce qu’ils ont des taux de pénétration d’internet et de la téléphonie mobile les plus élevés. Ainsi, l’Afrique de l’ouest n’est pas à la marge de la cybercriminalité. Elle en est
victime, et cela est principalement dû à la faiblesse de la sécurité de ses infrastructures.Cependant, beaucoup de pays ont commencé à appliquer des réglementations bien que le contrôle soit particulièrement difficile dans cette gigantesque toile qui ignore les frontières.
Cet espace que se dispute plusieurs acteurs devrait être beaucoup mieux pris en compte par les Etats tant il impacte sur la sécurité des citoyens et influe très grandement sur le développement économique et social vu l’augmentation exponentielle des transactions financières.
2.2.5. La géopolitique appliquée à l’espace culturel l’Afrique de l’ouest
En général non prise en compte par les africains contrairement à tous ceux qui convoitent nos espaces, l’espace culturel est le lieu où s’exerce le redoutable « softpower » qui vient en appui et parfois en avant des autres moyens utilisés pour accaparer un espace. N’est-ce pas que c’est la prise en compte de l’espace culturel de la civilisation occidentale qui a fait que les européens ont préféré intégrer la Grèce considérée comme le berceau de leur civilisation alors qu’en 1986 elle ne partageait aucune frontière physique avec un des membres de la CEE? Le retard de l’Afrique de l’ouest causé dans une certaine mesure par ses difficultés à adopter le modernisme s’explique en partie par la mince couche de culture étrangère qui semble vouloir se superposer coûte que coûte à la profonde couche originelle de culture africaine et qui de ce fait constitue un frein. Le décollage rapide des dragons asiatiques s’explique en partie par leur socle culturel qui a été plus épargné comparé à celui des africains.
Comme le disait à juste titre le politologue Luc Michel, l’espace de pensée est plus que stratégique. Elle est fondamentale. Elle s’étale dans un passé profond et conditionne le présent. C’est pourquoi, son contrôle facilite la domination de l’espace physique en préparation à l’exploitation économique. Lord Macaulay en 1835 dans son allocution au parlement britannique l’explique de belle manière : « j’ai traversé l’Inde de long en large et je n’ai vu aucun mendiant, ni un voleur. Ces richesses que j’ai vu dans ce pays, ces peuples d’une valeur morale aussi élevée, je ne pense pas que nous puissions les conquérir à moins que nous ne cassions la structure sociale de cette nation fière de son héritage culturel. Aussi je propose que nous remplacions leur ancien système éducatif, leur culture comme cela ils penseront que tout ce qui est étranger et anglais est meilleur que ce qu’ils ont. Ainsi, ils perdront confiance en eux, en leur culture et deviendront ce que nous voulons qu’ils soient : un peuple dominé »
Ainsi, de manière machiavélique les conquérants ont tous intégré la stratégie d’acculturation des peuples colonisés par le contrôle de leur espace culturel. Et cet espace culturel qui doit être considéré comme une muraille est actuellement encore l’objet d’attaques insidieuses des nouveaux acteurs qui veulent contrôler l’Afrique de l’ouest et ses richesses.
Quelle différence entre l’installation à Dakar d’un institut Confucius et la création d’un laboratoire de langue turque ou anglaise si on sait que l’objectif qu’ils partagent est de se superposer à la culture actuelle par le biais de leur langue qui constitue un puissant vecteur d’assimilation?
C’est aux africains en tous cas de s’impliquer pour sa défense en se mettant dans une position avantageuse, qui leur permette de mieux argumenter tant il constitue un puissant socle à préserver et à mettre au service de la défense de l’espace économique en particulier.
2.2.6. La géopolitique appliquée à l’espace économique de l’Afrique de l’Ouest avec le franc CFA au centre du dispositif
George Corm a bien fait de montrer dans son ouvrage « l’origine profane des conflits » que les vraies causes des conflits sont économiques et qu’on se bat en général pour assoir sa puissance afin de tirer le maximum de profit économique. Tombouctou est l’objectif stratégique des Touaregs moins pour son symbolisme que ses avantages économiques que conforte sa position sur les bords du Niger et l’existence de terres arables comparées au désert où vivent les Touaregs :
Le contrôle de l’espace économique est on ne peut plus démontrer l’objectif ultime à conquérir. Les hommes à titre individuel ou en groupe ainsi que les états sont en général mus par l’appétit du gain. L’espace économique incluant tous les marchés dont les matières premières, l’énergie et la finance etc est ainsi l’espace qui invite à assurer la conquête des autres espaces qui deviennent presque des objectifs intermédiaires, des conditions qui facilitent le contrôle de l’économie qui seule permet le développement et la satisfaction des besoins des peuples.
Aux africains de l’ouest de se nourrir des réalités qui gouvernent la géopolitique et de défendre leurs intérêts pour éviter qu’une exploitation économique centenaire décriée ne cède la place à une nouvelle pour un temps interminable encore.Mais l’audace dont font montre tous ces acteurs engagés dans la conquête des marchés, des matières premières, des débouchés commerciaux, des espaces sur fond de conflit ouvert parfois doit nous forcer à chercher à comprendre comment ils se perçoivent d’abord et comment ils se représentent vis-à- vis des africains de l’ouest pour oser chaque fois tenter de contrôler nos espaces et souvent avec une
relative facilité.
3. LES PERCEPTIONS ET REPRÉSENTATIONS DES PRINCIPAUX ACTEURS
Maintenant que nous avons bien perçu les enjeux des espaces et de certains lieux géoponiques de l’Afrique de l’Ouest sous toutes les cinq dimensions que nous venons de revisiter, nous allons compléter l’exploration en présentant de manière succincte les perceptions et représentations de quelques acteurs stratégiques majeurs. Ceci nous permettra de mieux percevoir les dynamiques et perspectives géopolitiques qui suivront.
En effet le commerce des esclaves opéré par les négriers européens et arabes eut lieu sans aucun esprit de remord car les coupables n’attribuaient pas aux africains une dignité humaine.
L’entreprise de domination coloniale qui s’en suivit n’en a pas été moins légitimée par un manque de considération des africains.
Les succès que les acteurs extérieurs continuent d’accumuler au détriment des intérêts des africains démontre une certaine prégnance de leur mentalité d’envahisseurs prêts à tout pour leurs intérêts par rapport à nos mentalités de peuples accueillants, hospitaliers si prompts à privilégier l’étranger. C’est ce qui risque de nous voir perdre tous nos espaces qui sont plus que convoités car regorgeant de ressources naturelles ou perçus comme des marchés potentiels. Il sera question ainsi d’exposer brièvement la mentalité des acteurs majeurs identifiés dont font partie les africains de l’ouest. Dans cette étude, sont considérés comme acteurs majeurs ceux qui, ayant adopté une stratégie offensive affichée, ont engrangé un succès visible considérable dans le passé et présentement et qui quelle que soit la situation risquent
fort de continuer à influer fortement dans la situation de l’Afrique de l’Ouest.
3.1. Les Etats Unis d’Amérique (USA)
Les USA ont commencé à récolter les dividendes de leur implication en Afrique de l’Ouest.La signature récente avec le Sénégal d’une convention qui leur permet de stationner leurs troupes pour lutter contre le terrorisme semble augurer le transfert du siège d’AFRICOM de Stuttgart à la cote africaine. L’on a pu percevoir la patience des américains et leur montée graduelle qu’ils ont su réussir en jouant plus sur le « soft power » c’est-à-dire en convaincant plutôt qu’à contraindre. Ce qui a montré une Amérique appliquant une approche basée sur le long terme mais toujours fidèle à sa politique de domination Ainsi, les américains semblent vouloir s’imposer mais progressivement tout en respectant la présence française en particulier.
3.2. Le Maroc
Le succès qu’engrange le Maroc dans sa fulgurante pénétration en Afrique de l’Ouest démontre l’existence derrière le roi Mohamed 6 d’une organisation solide au fait des réalités sociales, politiques et géopolitiques africaines et qui appuie sur tous les leviers pour s’imposer notamment dans le domaine économique et financier. Sa solide présence dans le système bancaire du Sénégal pays qui semble faire partie de ses bases stratégiques est symbolisée par le rachat de la BCEAO notamment. Le royaume chérifien depuis sa vaine tentative d’intégrer l’union européenne et conscient de l’impossibilité de dominer l’UMA, s’est résolument tourné vers l’Afrique de l’ouest en particulier et vise ses 346 Millions d’habitants. Le Maroc , sans utiliser cette fois ci la force comme il en a été le cas en Avril 1591 sait bien s’engager sans insister comme elle a fait montre lors de la crise gambienne et sait utiliser ses réseaux de
toute nature tout en profitant du dynamisme de son souverain formé à bonne école.
3.3. Le Tchad
Apres ses expéditions militaires vers le sud, principalement en Centrafrique, le Tchad grâce au succès engrangé au Nord mali est devenu le Gendarme ‘’délégué’’ de la sous-région. Le probable vote du Niger, du Mali et de la Mauritanie pour son candidat au poste de président de la commission de l’Union Africaine peut bien être interprété comme des actes d’allégeance notamment de la part des bénéficiaires directs qui cependant ont fait preuve de réalisme et d’esprit géopolitique par rapport au Sénégal. Certes, le Tchad, politiquement appartient au bloc de la CEMA tant la partie sud de son territoire qui renferme d’importantes ressources pétrolifères l’ancre dans l’Afrique centrale mais les élites qui gouvernent ce pays depuis 1980 avec la fin de l’ère de l’élite chrétienne sudiste symbolisée par les chutes de Francois Ngarka Tombalbaye et du général Félix Maloum sont culturellement plus rattachés aux pays du sahel. Ce qui laisse prévoir un ancrage plus solide avec la CEDEAO surtout avec notamment la création du G5 dont il fait partie et qui le rattache plus à l’ouest. Cette situation le présente même comme un pays appartenant à 2 blocs. Le fait de voir le G5 prévoir une ligne de chemin de fer Ndjamena – Nouakchott, une école de sécurité basée à Nouakchott et inclure la libre circulation des personnes dans l’espace G5 qui englobe le Niger, le Burkina, le Mali, la Mauritanie de l’UMA et le Tchad de la CEMA, n’est-ce pas une façon pour la Mauritanie de revenir dans le giron subsaharien et au Tchad de s’imposer à l’ouest comme au centre de l’Afrique? En y ajoutant le souhait du Maroc d’adhérer à la CEDEAO, il y’a de quoi réfléchir sur la redéfinition du processus d’adhésion ou de démission de ces trois blocs et même de
leurs frontières.
En conclusion, le Tchad peuplé de negro africains (Toubous, zaghawa, mbaya etc) très proche des autres subsahariens se sent appelé à jouer un rôle de plus en plus important en Afrique de l’ouest, notamment dans le sahel.
3.4. La Chine
Prudente et mesurée dans ses relations avec tous les pays de l’Afrique de l’ouest qui toutes la reconnaissent actuellement comme l’unique interlocuteur après le passage de quelques-uns dont le Sénégal sous le giron de Taiwan, la Chine investit dans le long terme. Les instituts Confucius qu’elle commence à implanter en Afrique de l’Ouest montre une certaine volonté d’investir le champ culturel africain après avoir convaincu de ses capacités en matière d’investissement économique. Ses succès engrangés partout notamment dans les domaines des infrastructures routières, artistiques et sportives entre autres confortent bien sa position et sa volonté de vouloir supplanter les occidentaux dans tous les domaines. De la 24 ème place, la Chine est passé au rang de 2 ème partenaire commercial du Sénégal, juste derrière la France. En outre la Chine, grosse consommatrice d’énergie semble voir l’Afrique de l’ouest comme un client potentiel pour ses besoins en énergie et aussi comme un marché pour ses produits finis.
3.5. La France
Bénéficiant d’une position privilégiée, la France semble se représenter comme le partenaire incontournable des africains de l’Ouest. Elle occupe le premier rang en termes d’échanges avec la plupart des pays africains. Sa longue présence en Afrique et la position privilégiée qu’elle occupe dans tous les espaces peuvent l’expliquer.
Sa volonté de rester en Afrique del’ouest qui lui fournit une grande partie de son uranium, n’est plus à démontrer.Le coup d’arrêt qu’elle a porté à l’avancée des djihadistes au Nord mali en janvier 2013 et sa présente implication militaire au Mali où près de 20 de ses soldats ont péri la présentent comme la protectrice des pays africains si on se rappelle encore le barrage de la route d’Abidjan aux rebelles ivoiriens que ses troupes ont aussi réussi en octobre 2002 sans oublier ses différentes interventions militaires au Congo.
Les français, tout en contrôlant la monnaie de la plupart des pays de la CEDEAO semble dire : « j’ysuis,j’y reste » tout en s’inquiétant de l’arrivée de la Chine et d’autres pays comme l’Inde, le Japon, l’Allemagne etc. qui ont réussi à réduire son monopole sur les marchés africains. Ses attitudes controversées dans la gestion de la région de Kidal qu’elle ne semble pas détacher de la région d’Arlit située Niger ont montré à plus d’un titre le fait qu’elle privilégie ses intérêts, et ceci naturellement comme tout Etat cohérent.
3.6. les Touaregs du nord Mali et du sahel
Les Touaregs du nord Mali,conscients de la faiblesse de l’état malien sont résolument engagés dans leur entreprise de création d’un Etat indépendant dans le nord Mali où vivent près de 85% de leur population repartie entre la Mauritanie, le Niger, le Tchad, l’Algérie et la Lybie.
Leur revendication du nord Mali remonte à fort longtemps et n’a pas baissé malgré l’échec de leurs multiples rebellions matées dans le sang par les français sous l’époque coloniale d’abord ensuite par les nouveaux Etats africains depuis 1962 que date leur première révolte post indépendance. La victoire éclair qu’ils ont obtenu en Mars –Avril 2012 leur a permis d’occuper temporairement Tombouctou et Gao. Refoulés ils semblent toujours décidés à récupérer le nord Mali quitte à employer la manière indirecte. L’installation d’un touareg du mouvement de l’Azawad le 21 avril dernier à la tête de la nouvelle circonscription de Taoudénit devrait être perçue par eux comme une victoire en attendant d’autres gains territoriaux qui pourraient les amener à une autonomie quasi-totale.
Ce rappel survol des perceptions et des représentations des acteurs majeurs de l’Afrique de l’ouest a permis de constater la volonté affichée ou non des acteurs étrangers d’accaparer les espaces de l’Afrique de l’ouest que certains comme la France semblent considérer comme indispensable à leur espace vital. C’est ce qui les pousse certainement à consentir même à y verser le sang de leurs enfants. Certains adoptant des stratégies à long terme semblent se présenter comme des organismes vivants à la recherche de nourriture dont leurs corps ont besoin pour croître comme diraient Ratzel. C’est par exemple le cas des Etats Unis qui de manière pragmatique et usant de la patience ont réussi à déposer les valises sur la cote de l’Afrique de l’Ouest, de la Chine, du Maroc qui semblent appliquer tous les concepts de la géopolitique.C’est ce qui semble manquer aux ouest africains non nourris de l’analyse géopolitique, préférant se limiter au droit international alors que tous ces pays leur donnent l’exemple en terme de ‘’Real politik’’.
Après la présentation des perceptions des acteurs précédée des enjeux de conquête relatifs aux 5 espaces, l’on peut oser pouvoir comprendre plus les dynamiques et oser dessiner quelques perspectives car ce sont tous ces acteurs qui écrivent l’histoire de la sous-région en influant sur les espaces que tous cherchent à contrôler.