La géopolitique de l’Afrique de l’Ouest – Conférence au profit des attachés militaires francophones prononcée par le colonel (er) Seyni Cissé Diop à Dakar, le 08 mai 2017 – 1ère partie : Introduction et notions générales de géopolitique

Part 1 :  Introduction et notions générales de géopolitique

Conférence au profit des attachés militaires
Prononcée par le Colonel(er) Seyni Cissé Diop
Au Cercle Mess des Officiers
Dakar le 08 Mai 2017

« La géopolitique de l’Afrique de l’ouest : Réalités, Représentations, Perspectives et Solutions »

Mesdames et Messieurs

      Je salue cette auguste assemblée et profite encore de l’occasion pour remercier le CHEDS qui a bien voulu me donner l’occasion de me présenter à cette tribune pour échanger sur les aspects de la géopolitique de l’Afrique de l’ouest avec d’importants acteurs
que sont en particuliers, vous les attachés militaires en poste et ceux qui vont très prochainement remplir cette importante fonction qui a encore des lettres de noblesse à écrire au sein des chancelleries africaines.

Le fait de devoir me centrer sur l’Afrique de l’ouest ne doit pas m’inciter à me limiter à l’aspect conflictuel terrestre remarqué notamment dans le bassin du lac Tchad et au Nord Mali, les zones chaudes de l‘Afrique de l’ouest qui font actuellement l’objet de toutes les attentions de la communauté internationale vu que le Liberia donne tous les signes d’un volcan en phase d’extinction et que la Cote d’Ivoire, malgré quelques soubresauts a entamé une montée résolue vers la paix. Je n’aurai pas aussi besoin d’exposer sur le conflit casamançais classé parmi les plus vieux de la sous-région tant il commence à ressembler à un pétard mouillé depuis le départ en exil du dictateur gambien qui attisait le feu après avoir pris le relais des Bissau guinéens.
Aussi pendant mon exposé de 40 mn environ suivi de vos commentaires, questions et contributions surtout, je m’exercerai à une approche globale qui, j’espère fera ressortir certains aspects essentiels de la situation géopolitique de l’Afrique de l’ouest. Ainsi, l’histoire sera invitée parfois pour montrer que ce qui se passe aujourd’hui par exemple au nord Mali obéit aussi à une continuité historique tant les hordes djihadistes qui ont attaqué Tombouctou et Gao en Avril 2012 rappellent une situation presque similaire du 16ème siècle.
Il sera ainsi question, prenant toujours en compte l’aspect global de la géopolitique de ne pas se limiter à l’approche classique centrée trop sur l’espace terrestre mais d’essayer de visiter ces espaces comme la cyberspace qui ont échappé à Ratzel, Kjellén, Mackinder, Ancel etc car ils n’ont pas connu la révolution du numérique.

Ainsi tenant compte du temps imparti nous commencerons d’abord par nous accorder sur une définition du terme « géopolitique ». La définition de la géopolitique que je vous proposerai nous servira de base pour la deuxième partie de mon exposé où j’essayerai de présenter les réalités géopolitiques qui s’observent dans les espaces de l’Afrique de l’ouest où de nombreux acteurs aux intérêts divergents jouent parfois leur va tout comme les djihadistes de Boko haram. A cette analyse des espaces suivra une présentation des perceptions et des représentations des acteurs majeurs. Fort des enjeux d’accaparement des espaces ouest africains et des perceptions des acteurs pour ne pas dire ‘’leurs mentalités’’, nous pourrons aborder les dynamiques et les perspectives de notre sous-région. Une introspection, une analyse de situation doit aboutir à une proposition de solutions. Ainsi nous présenterons rapidement les solutions connues de tous avant d’exposer plus en détails quelques nouvelles pistes qui me semblent délaissées voire inconnues.
Je vous propose d’aborder nos échanges en suivant ce plan
Part 1 : Définition de la géopolitique
Part 2 : Les réalités géopolitiques de l’Afrique de l’ouest
Part 3 : Perceptions et représentations des acteurs
Part 4 : Dynamiques et perspectives
Part 5 : Solutions

1. DEFINITION DE LA GEOPOLITIQUE

En se référant à la définition classique qui prend en compte les deux mots collés d’origine grecque, on peut retenir que  la géopolitique est l’étude des effets de la géographie (humaine et physique) sur les politiques nationales et les relations internationales. On peut voir ainsi que c’est en fait une méthode d’étude, un cadre d’analyse pour comprendre, expliquer et prédire le comportement politique international à travers les variables géographiques.
Par cette définition, cette approche on sent le poids des géographes dans l’approche géopolitique. Mais c’est le suédois Rudolf Kjellen (1864-1922), professeur de sciences politique qui en voulant associer sa discipline à la géographie est le premier à vulgariser le terme « Géopolitique » à travers ses enseignements. Rappelons que Kjellen s’est beaucoup inspiré de l’allemand Friedrich Ratzel (1844-1904) connu pour le concept « espace vital » si cher au chancelier prussien Bismarck.
Ainsi, tenant compte de l’évolution de la discipline et des apports importants des spécialistes de divers domaines comme l’histoire, les relations internationales, la polémologie, les sciences politiques …etc. on se rend compte que la géopolitique adopte en fait une approche globale qui combine toutes ces disciplines. On eut dit que la géopolitique est à la croisée des chemins mais qu’elle semble cependant mettre plus en évidence les rivalités de pouvoir sur un ou des espaces donnés.
Aussi je vous propose d’abord cette définition du français Yves Lacoste, tête de file de l’école géopolitique française qui me semble prendre plus en compte toutes les disciplines.
« La géopolitique est une méthode particulière qui repère, identifie et analyse les phénomènes conflictuels, les stratégies offensives ou défensives centrées sur la possession d’un espace, sous le triple regard des influences du milieu géographique, pris au sens physique comme humain, des arguments politiques des protagonistes du conflit, et des tendances lourdes et continuités de l’histoire.»
Appliquant cette définition polysémique à la situation de l’Afrique de l’ouest, je me permettrai maintenant d’exposer ma thèse, mon approche que certains appellent idée maîtresse que je tenterai de défendre tout au long de l’exposé.
« La situation géopolitique de l’Afrique de l’ouest semble fortement obéir à de lourdes tendances historiques que favorise sa position géographique, tant cette région ressemble à une zone de basse pression qui facilite l’accaparement de ses espaces par des acteurs étrangers pour la plupart, et qui usent de leur puissance (diplomatique, économique, militaire et culturelle) dans tous les domaines. Aussi, les dirigeants, les élites et les peuples ouest africains doivent-ils prendre en compte leur destinée en rompant ce cycle presque ininterrompu d’insécurité en se dotant surtout d’une véritable conscience stratégique qui leur permette de privilégier la défense de leurs intérêts face à des acteurs aux desseins de domination à peine voilés. »
Cette approche défensive que je suggère me diffère de Karl Haushofer (1869-1946), géopolitologue pangermaniste qui préconisait un partage du monde en 4 parties avec une belle part confiée à l’Allemagne. La situation actuelle de l’Afrique de l’ouest agressée de toute part et qui doit apprendre à se défendre d’abord avant de décoller me l’impose.
Maintenant que la géopolitique a été définie et que mon approche ait été exposée, nous pouvons maintenant essayer d’explorer la situation de l’Afrique de l’ouest centrée à mon avis autour de la notion de puissance, un facteur déterminant qui permet aux acteurs qui en sont plus dotés de triompher dans les enjeux de conquête et de contrôle des différents espaces que nous aborderons successivement.

C’est l’occasion de dire que mon objectif est surtout de partager une approche globale qui j’espère nous permettra à nous africains de mieux comprendre le jeu des acteurs qui en fait n’ont pas changé fondamentalement d’objectif stratégique mais de stratégies plutôt vis-à- vis des africains qui ne semblent pas encore avoir pris la pleine mesure des enjeux géopolitiques tant ils délaissent leurs espaces vitaux. J’aurai peut-être réussi à contribuer à l’éclosion de nouvelles attitudes qui permettent de faire preuve de plus de réalisme et d’adopter des stratégies qui préservent nos intérêts d’aujourd’hui et de demain.

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