La géopolitique de l’Afrique de l’Ouest – Conférence au profit des attachés militaires francophones prononcée par le colonel (er) Seyni Cissé Diop à Dakar, le 08 mai 2017 – 3ème partie : Dynamiques, Perspectives, Solutions et Conclusion

  1. DYNAMIQUES ET PERSPECTIVES

  De ce qui précède, tenant compte de l’attitude des acteurs africains qui semblent accepter d’être sacrifiés et des acteurs étrangers incluant les groupes djihadistes du nord Mali qui semblent résolus dans leur conquête des espaces, l’on peut, certes avec prudence percevoir un avenir pas radieux pour l’Afrique de l’Ouest tant elle risque de demeurer juste un réservoir de matières premières et un débouché de produits manufacturés de ces pays à l’allure de conquérants, qu’ils s’agissent des chinois, des américains, des marocains ou des occidentaux qui s’accrochent jusqu’à réussir à contrôler la monnaie de la plupart des Etats de la région. Ainsi, vassalisé au niveau financier, excepté le Nigeria incapable cependant  de jouer le rôle de leader sous régional tant il manque d’argument et d’organisation et dépendant lui aussi d’autres pays, l’Afrique de l’ouest risque de rester marginalisée et de ne pas compter dans le jeu géopolitique car manquant de structures de sécurité efficaces et surtout d’un mentalité de conquérant ou même de résistant déterminé; ce qui pourtant existait chez les peuples négro africains. Cependant comme le prévoient aussi beaucoup d’études dont le rapport du Conseil national du renseignement, les populations africaines seront plus jeunes, plus éduquées, plus nourris des réalités géopolitiques, plus interconnectés et plus désireuses d’être entendues et certainement plus engagées dans l’établissement de rapports égaux entre l’Afrique et ses partenaires.

L’adoption d’une posture engagée est à la portée de l’Afrique de l’ouest si elle sait mettre en œuvre des solutions inscrites dans le long terme dans chacun de ses espaces qu’elle doit défendre pour assurer à sa jeunesse la possibilité de discuter dans un avenir proche, d’égal à égal avec tous ces acteurs tentés de contrôler ses espaces.           

  1. SOLUTIONS AUX DEFIS GEOPOLITIQUES DE L’AFRIQUE DE L’OUEST

Une approche géopolitique de l’Afrique de l’ouest ne peut se passer de proposer de nouvelles pistes de solutions tout en s’appropriant les solutions déjà partagées.

Aussi l’approche que j’ai privilégié  et qui peut faire penser à une vision dialectique des relations humaines m’a invité à privilégier la présentation  de solutions orientées vers le renforcement des capacités de défense. Il est ainsi suggéré aux dirigeants africains d’adopter une approche géopolitique qui leur  permettra de mieux combiner les 4 axes stratégiques que sont la diplomatie, le militaire, l’information et l’économie.

Nous pouvons distinguer ainsi 2 formes de solutions qui se complètent : les solutions connues et partagées et les nouvelles pistes de réflexion que j’essaie de mettre en évidence.

Ainsi en plus des efforts de développement socio économiques au profit de tous leurs habitants, au niveau de chaque Etat de la sous-région et des différentes solutions exposées notamment lors des derniers forums sur la sécurité et qui appellent surtout les états à privilégier l’action collective dans tous les domaines (renseignement, entrainement, projection et engagement), ces nouvelles pistes de réflexion sont-elles  suggérées :

  1. Renforcement des appareil militaires par des mesures centrées sur le long terme dont  une réforme du secteur de la sécurité étendue  aussi à des pays qui n’ont pas connu une grave crise de leur appareil militaire comme par exemple le Sénégal qui a besoin d’un plus grand contrôle démocratique de sa sécurité. Le Mali donne l’exemple d’un pays qui au lieu de se suffire des bataillons entraînés dans les actes élémentaires du combat par des instructeurs étrangers uniquement doit prendre l’exemple de la France qui au lendemain de la défaite de 1870 avait procédé à des reformes notables. Ainsi le Mali, à titre d’exemple, devant assurer le contrôle de son immense nord doit reconstituer son armée en profondeur et se projeter dans le long terme pour acquérir les capacités et compétences nécessaires qui lui permettront de se passer de la présence de toutes ces troupes africaines ou non qui le font apparaître comme un vassal. Ce prix est aussi à payer par la plupart des pays qui se contentent de petites améliorations et non de vrais reformes structurelles payants dans le long terme. Par exemple le doublement, voire le triplement des effectifs des écoles destinées à former les cadres militaires est une condition sine qua non pour une montée en puissance efficace qui exige une prise de conscience des politiques.
  2. Restructuration de l’organisation de la sécurité, ne serait-ce que pour assurer au minimum la  surveillance de leur territoire. C’est à leur portée. Mais un excès de centralisation et une peur du changement empêche de réussir ce qui  peut même être financé par leur propre budget. C’est le cas de certains pays comme le Sénégal qui ne disposent pas encore de régions aériennes et maritimes.
  3. Promotion de l’équité et de la transparence dans les promotions et l’occupation des postes de responsabilité où le mérite cède le pas souvent au népotisme. C’est par ailleurs ce qui peut expliquer en partie le manque d’efficacité au front.
  4. Constitution de vrais réserves comprenant aussi bien des soldats que des cadres en changeant radicalement le mode de recrutement et de gestion qui fait qu’un pays comme le Sénégal, le Mali, le Burkina etc  par exemple ne disposent pas de réservistes identifies et entraînées en permanence. Israël a gagné des guerres grâce à ses réservistes identifiés et entraînés. Si le  Mali disposait de réserves, après l’effet de surprise, il aurait pu au moins reconquérir seul Tombouctou et Gao. Il est temps de faire la différence entre les retraités et les réservistes qui doivent faire l’objet d’un recrutement et d’une gestion spéciale. Le fait de penser rappeler des soldats du contingent sans disposer de jeunes cadres officiers et sous-officiers réservistes déjà entraînés pour renforcer l’armée d’active doit sortir de l’esprit des africains. La réserve militaire obéit à des règles et a ses exigences.
  5. Le succès des efforts du niveau sous régional est fortement dépendant des Etats puisqu’il s’agit en fait d’une agrégation des volontés politiques et des appareils de sécurité étatiques. On attendra vainement la force de réaction rapide de la CEDEAO tant que les Etats ne s’acquitteront chacun de sa part. Pour que le tout dépasse la somme des individualités, il faudrait bien que les individus existent d’abord. La crise du  nord Mali a bien mis à nu l’incapacité de l’appareil sécuritaire sous régional ouest africain qui en fait ne pouvait que compter sur les armées de la sous-région qui ont pris trop de temps avant de s’engager timidement.
  6. Renforcement de la coopération régionale tant au plan du renseignement que de la possibilité pour les troupes d’un pays de la sous-région d’opérer aux frontières ou de transiter facilement à destination d’une zone d’opération. Le Niger a donné un bel exemple aux pays de la sous-région en autorisant dans de courts délais le transit de l’armée tchadienne en route vers le nord Mali alors que le Nigeria a retardé l’engagement du Tchad dans le bassin du lac avant de le laisser reconquérir Bagama. L’engagement du Bénin dans le cadre de la MTJF devrait aussi servir d’exemple à ces pays du G5 sahel qui au lieu d’y inviter le Sénégal pays sahélien semblent vouloir lui compliquer son entrée ; se privant ainsi d’un partenaire qui a fait ses preuves.
  7. Mutualisation des moyens des forces maritimes et aériennes pour augmenter les capacités d’intervention directe et de projection tout en bénéficiant de la coopération internationale. Peut-être en dehors du Nigeria, l’on peut affirmer qu’aucune marine ne peut se payer le luxe de se payer un Breguet Atlantique. Un avion de reconnaissance et de surveillance de ce type aux couleurs de la CEDEAO est très attendu dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime, le pillage des ressources et l’immigration clandestine. Les africains, avec la défunte compagnie aérienne multinationale Air Afrique ont pourtant démontré des capacités de gérer ensemble de lourds moyens aériens.
  8. Création d’EMVR (Ecole Multinationale à Vocation régionale)  en lieu et place des ENVR actuelles qui jouent plus un rôle diplomatique que de prendre en compte les besoins des armées africaines
  9. Renforcement de l’esprit géopolitique et de la culture stratégique. C’est au niveau de la pensée que personne ne met sur la table à commencer par les africains qu’une révolution doit s’opérer. Et ceci personne ne nous y invitera vu que chaque acteur cherche en fait  à défendre ses intérêts. Nous devons ainsi renforcer notre ‘’soft power’’, notre pensée afin de mieux résister face aux diverses agressions. Et ceci ne peut se faire qu’en se dotant d’un esprit géopolitique qui influe sur nos attitudes pour nous  permettre afin de mettre en œuvre des stratégies adaptées.

 Ainsi nous pourrons espérer :

  • Voir les leaders africains se nourrir des théories classiques et contemporaines de la géopolitique qui constituent toujours la base de réflexion de tous ces conquérants de l’espace ouest africain, qu’ils soient du continent ou  d’au-delà des mers. C’est la meilleure façon de comprendre leurs intentions quelles que soient leur apparence et les stratégies qu’ils déploient
  • Considérer en premier étape le Tchad comme un Etat de la CEDEAO et de la CEMAC comme premier jalon de la fusion des deux blocs que tout unit et que le Tchad a si bien magnifié en s’engageant en république centrafricaine, au Nigeria et surtout au Mali. N’est-ce pas une façon de suivre l’exemple de l’UE qui s’est agrandie jusqu’à vouloir même intégrer l’Ukraine !!
  • Développer la recherche et le développement en géopolitique au lieu de se suffire des relations internationales pour renforcer notre argumentaire et notre culture stratégique en encouragent la création de vrais instituts de géopolitique et de stratégies au service des états
  • Enfin, voir les autorités encourager et soutenir  la création de Think Tank comme le font les  USA et la France qui actuellement soutient certainement la floraison de ces  cabinets de défense et sécurité où se côtoient anciens militaires et géopolitologue civils. Ainsi nous disposerions de plus d’instituts autonomes qui mettraient aussi leur contribution à la disposition des Etats africains et des organisations sous régionales.

 

                                                                       CONCLUSION FINALE

       En conclusion finale, les européens qui nous ont colonisés en dernier avaient compris l’importance de l’espace de pensée comme le résume si bien lord Macaulay en 1835 dans son allocution au parlement britannique :

     « J’ai traversé l’Inde de long en large et je n’ai vu aucun mendiant, ni un voleur. Ces richesses que j’ai vu dans ce pays, ces peuples d’une valeur morale aussi élevée, je ne pense pas que nous puissions les conquérir à moins que nous ne cassions la structure sociale de cette nation fière de son héritage culturel. Aussi je propose que nous remplacions leur ancien système éducatif, leur culture comme cela ils penseront que tout ce qui est étranger et anglais est meilleur que ce qu’ils ont. Ainsi, ils perdront leur confiance en eux, leur culture et ils deviendront ce que nous voulons qu’ils soient : un peuple dominé ». Cette stratégie a été appliquée en Afrique par anglais et français et surtout par les colons portugais qui gommaient même les noms de famille des autochtones.

C’est juste une manière de montrer que le vrai combat de niveau géopolitique, d’ici et d’ailleurs à fort rendement ne peut faire fi de l’espace culturel où aucun acteur majeur étranger ne nous soutiendra avec désintérêt, par méconnaissance ou par crainte. Nous devons renforcer notre ‘’soft power’’ si faible par rapport à celui des autres.

Pour que la situation non idyllique du Mali qu’Ibn Batouta décrivait entre 1352 et 1353 comme une contrée où on peut circuler sans être victime de vol et où une sécurité parfaite régnait revienne, les africains de l’ouest doivent surtout investir dans la libération de leur espace de pensée par la promotion d’une culture forte qui rendra durable les solutions plus que vulgarisées mais qui exigent des préalables. Il nous faut ainsi de hauts dirigeants politiques forts de leur acceptation des théories et des réalités de la géopolitique et des dirigeants intermédiaires dotés d’esprit stratégique pour que les tacticiens  et les exécutants à tous les niveaux puissent se mettre en action avec cœur contre toutes les tentations de déstabilisation si préjudiciable à notre développement économique et social.

            En dernier mot, la prise en compte de la géopolitique nous aidera certainement à anticiper sur l’avenir. Nous devons apprendre à ne pas vouloir naviguer sans au minimum une boussole  et une carte. La géopolitique devrait être la carte voire l’école qui nous permettra de mieux anticiper sur l’avenir de la jeunesse africaine à qui en fait appartient ces espaces que nous devons préserver.

                                                                                                                                              Je vous remercie

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